Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 2, Lemerre, 1890.djvu/196

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Et cependant il faut, car l’éditeur y compte,
Tirer de ma cervelle une ballade, un conte,
Je ne sais quoi de beau, de neuf et de galant.

Ce sont des doigts d’ivoire et de beaux ongles roses
Qui froissent ces feuillets, dans les heures moroses
Où le temps ennuyé chemine d’un pied lent.

C’est dans votre boudoir, ô lectrice adorable,
Sur un beau guéridon de citron ou d’érable,
Qu’ira ce que j’écris ; et j’y songe en tremblant,

Car vous avez le goût dédaigneux et superbe,
Et vous trouvez fort bien le chardon dans la gerbe
Au milieu des bluets et des coquelicots.

Madame, — excusez-moi, je ne suis pas poète ;
Mon nom n’est pas de ceux qu’un siècle a l’autre jette
Et qui dans tous les cœurs éveillent les échos.

Hélas ! — Je voudrais bien vous conter une histoire,
Comme vous les aimez, — bien terrible et bien noire, —
Avec enlèvements, duels et quiproquos ;

— Une intrigue d’amour, charmante et romanesque,
Où j’aurais, nuançant ma phrase pittoresque,
Pris sa pourpre à la rose et leur azur aux cieux,

Au marbre de Paros sa candeur virginale,
Leur neige aux Apennins, son reflet à l’opale,
À l’ambre son parfum faible et délicieux ;

Où j’aurais, pour parer ma frêle créature,
Prodiguement vidé l’écrin de la nature
Et créé deux soleils pour lui faire des yeux.