Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 2, Lemerre, 1890.djvu/43

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C’est par elle qu’on pleure et qu’on se désespère :
C’est elle qui ravit au giron de la mère
        Son doux et cher souci ;
C’est elle qui s’en va se coucher, la jalouse,
Entre les deux amants, et qui veut qu’on l’épouse
        A son tour elle aussi.

Elle est amère et douce, elle est méchante et bonne ;
Sur chaque front illustre elle met la couronne
        Sans peur ni passion.
Amère aux gens heureux et douce aux misérables,
C’est la seule qui donne aux grands inconsolables
        Leur consolation.

Elle prête des lits à ceux qui, sur le monde,
Comme le Juif errant, font nuit et jour leur ronde
        Et n’ont jamais dormi.
A tous les parias elle ouvre son auberge,
Et reçoit aussi bien la Phryné que la vierge,
        L’ennemi que l’ami.

Sur les pas de ce guide au visage impassible,
Nous marchons en suivant la spirale terrible
        Vers le but inconnu,
Par un enfer vivant sans caverne ni gouffre,
Sans bitume enflammé, sans mers aux flots de soufre,
        Sans Belzébuth cornu.

Voici contre un carreau comme un reflet de lampe
Avec l’ombre d’un homme. Allons, montons la rampe,
        Approchons et voyons.
Ah ! c’est toi, docteur Faust ! Dans la même posture
Du sorcier de Rembrandt sur la noire peinture
        Aux flamboyants rayons.