Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/252

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l’on n’en peut disconvenir; mais cela ne n'empèche point aussi d’agir de plein gré. N’est—ce pas là toutefois ce qu’on appelle être libre? manque-t-on de liberté lorsqu'on fait ce que l’on veut? Vous voyez donc clairement que la yolonté n'est point indépendante de Dieu, et que la nécessité ne suppose pas toujours dépendance involontaire; nous suivons les lois éternelles en suivant nos propres désirs; mais nous les suivons sans contrainte, et voilà notre liberté. —- Subtilité, direz-vous; ce n’est point agir de soi-meme que d’agir par une impression et des lois étrangères. — Mais vous raisonnez la sur un principe faux : l'impresslon et les lois de Dieu ne nous sont point étrangères; elles constituent notre essence, et nous n'existons qu'en·elles. Ne dites-vous pas : Mon corps, ma vie, ma santé, mon âme 2 Pourquoi ne diriez-vous pas : Ma volonté, mon action? Croyez-vous votre âme étrangère, parce qu’elle vient de Dieu et qu’elle n'existe qu’en lui? Votre volonté, votre action, sont des productions de votre âme; elles sont donc votres aussi. ‘ —- Mais, en ce cas-là, direz—vous, la liberté n'est qu'un nom; les hommes se croyaient libres en suivant leur volonté;_ c'était une erreur manifeste. — Vous vous égarez encore: les hommes ont eu raison de distinguer deux états extrèmement opposés; ils ont nommé liberté la puissance d’agir par les lois de leur étre, et nécessité la violence que souffrent ces mêmes lois. C'est toujours Dieu qui agit dans toutes ces circonstances; mais quand il nous meut malgré nous,'cela s'appelle contrainte; et quand il nous conduit par nos propres désirs, cela se nomme liberté'. Il fallait bien deux noms divers pour désigner deux actions différentes; car, encore que le principe soit le méme, le sentiment ne l'est pas. Mais au fond, aucun homme sage n'a jamais pu ni dû étendre ce terme de liberté jusqu'à. l'indé-

¤ Var.: « Nous nommons avec raison liberté la puissance d'agir par les lois de notre étre, et nécessité la violence qu'elles souffrent des objets extérieurs, comme lorsque nous sommes en prison, ou dans quelque autre dépendance involontaire. »