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xxiv
ÉLOGE.


nargues ; seulement ils n’y remédient pas, et les arts ne sont ni si pernicieux, ni si utiles que nous voulons le croire. » Rousseau va opposer la vie sauvage à la vie civilisée : « Je ne parle pas, dit Vauvenargues, des historiens qui vantent les mœurs des sauvages, leur simplicité, leur bonheur et leur innocence ; les histoires des peuples barbares me sont également suspectes dans leurs reproches et dans leurs éloges, et je ne veux rien établir sur des fondements si ruineux. »

En 1745, l’Académie française mit au concours la question de l’Inégalité des richesses ; Vauvenargues concourut, et, là encore, il répond d’avance à Rousseau, qui, huit ans plus tard, devait reprendre ce sujet avec tant de retentissement et d’éclat. Mais, s’il le traite avec plus de mesure, Vauvenargues aussi ne l’aborde que de côté, et ne descend pas au fond. Au pauvre, il ne donne pas de raisons de sa misère, ou n’en donne que d’indirectes ; il n’a d’autre consolation à lui présenter que le tableau, éloquent d’ailleurs, de la fausse félicité du riche : égalité de souffrance à côté de l’inégalite des richesses, telle est la conclusion de son discours. Il faut avouer qu’elle n’est pas décisive ; car, si le pauvre vient vous dire : Misère pour misère, j’aime encore mieux la vôtre ! la question se déplace, et c’est un autre abîme qui s’ouvre. Il est vrai que Vauvenargues n’était pas maître de son sujet ; car l’Académie française, plus prudente que celle de Dijon, n’avait pas laissé aux concurrents le choix de la solution. Mais, la question n’eût-elle pas été réduite, il l’eût traitée de même ; il ne croit pas à l’égalité : « Je désirerais de tout mon cœur, dit-il, que toutes les conditions fussent égales ; j’aimerais beaucoup mieux n’avoir point d’inférieurs, que de reconnaître un seul homme au-dessus de moi. Rien n’est si spécieux dans la spéculation que l’égalité, mais rien n’est plus impraticable et plus chimérique. » (Maximes inédites.) Quoi qu’il en soit, son discours est plein de force, et la discussion y est réellement élevée ; il y règne un ton de tristesse approprié au sujet, et qui serre le cœur quand on arrive à ce passage où, faisant sur lui-même un brusque retour, il s’écrie : « Accablé d’afflictions dans la force de mon âge, ô mon Dieu ! si vous n’étiez pas, ou si vous n’étiez