Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/382

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32 _ ESSAI 38. — [L'BSPBlT ne nantes '.] [Celui qui a l’esprit de manége, et qui connait les hom- mes, n'a pas besoin des artifices vulgaires de la ilatterie pour surprendre les cœurs; il a l’air ouvert, ingénu et fa- milier; il n'étale point non plus une vaine pompe d’expres- sion, il ne sème pas ses discours de petites fleurs et de traits, qui ne serviraient qu'a faire paraitre son esprit, sans intéresser celui des autres. ll ne raconte point, il ne plai- sante point; il_ne prend pas la parole dans un cercle pour ` arréter sur lui seu1l‘attention de toute Passemblée, et pré- valoir sur les autres; mais, là où le hasard le fait rencon- trer, à. table, en voyage, au chauil”oir‘ de la Comédie, dans- l'antichambre du ministre, ou dans les appartements du prince, s'il se trouve ai coté d'un homme qui soit en état de Pécouter, il le joint, s'empare de lui, l'entame par l’en— droit sérieux et sensible de son esprit, l'oblige a s'épancher, excite, réveille en son cœur des passions et des intérêts qui étaient endormis, ou qu'il ne se connaissait pas, prévient ses pensées ou les devine, et s'insinue, en un moment, dans son entière confidence. Il sait gagner ainsi ceux q·u'il ne connait pas, comme il sait conserver ceux qu' il s'est acquis. V il entre si avant dans le caractère des personnes qui l'écou- tent, ce qu'il leur dit est si justement mesuré sur leurs pen- sées et leurs sentiments, que toute autre personne n'y entendrait rien, ou n'y prendrait point de goût. Aussi aime- t-il les entretiens à deux; cependant, s'il est obligé par les circonstances de parler devant plusieurs personnes de mœurs ou d’opinions diiïérentes , ou s'il doit prononcer entre deux hommes qui ne s’accordent point sur quelque objet, comme il connait les diverses faces des choses hu-

  • Voici encore un portrait on il faut reconnaitre Vauvenargues, ou, au

moins, son idéal. Déja, nous avons appelé sur ces Cursclèru l'attem·iou du lecteur; nous l'appelons particulièrement sur ces deux pages, qui comptent parmi les meilleures. Ce style ne ressemble pas A celui de La Bruyère; il n'en a ni Fagrement. ni les surprises; mais j’ose dire qu'il est aussi vigoureux peut- etra, et, en tout cas, plus sobre, plus grave et plus sain. — G.

  • Ou dirait sujourd’hui sa foyer. — G.