Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/394

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340 ESSAI sonne lui en sût gré. Bien des gens aeceptaient ses soupers, dont aucun ne voulait se chargeràde le présenter; il atten- dait toujours du temps ce qu'on refusait a son mérite; mais, tandis qu'il attendait, la pauvreté et la vieillesse s'étant inopinément offertes a lui, son cœur s'est serré de douleur, et, voyant que les memes hommes auxquels il avait tout sacrifié ne faisaient aucune attention à sa ruine, il s'est re- ` tiré à la campagne, sous un toit détruit, d'où il n'aurait jamais dû sortir; il y vit dans l'obscurité et dans la misère, aussi oublié parmi les hommes, que s'il n'avait jamais tenté ° ' de se pousser auprès d’eux.] M. — cnéou, ou LA Folle ambition. Cléon, dévoré d'ambition, et plus passionné que pru- dent, a passé sa jeunesse dans Pobscurîté, entre la vertu et le crime. Vivement occupé de sa fortune avant de se oon- naitre, et plein de projets chimériques dés l'enfance, il se repaissait de ces songes dans un âge mûr; son naturel ar- dent et mélancolique ne lui permettait pas de se distraire de cette sérieuse folie. Il comprenait a peine que les autres hommes pussent étre touchés par d'autres biens; et, s`iI voyait des gens qui allaient a lacampagne dans l'automne pour jouir des présents de la nature, il ne leur enviait ni leur gatté, ni leur bonne chère, ni leurliberté, ni leurs plai- _ sirs. Pour lui, il ne se promenait point, il ne chassait point, il ne faisait nulle attention au changement des saisons, et le printemps n'avait à ses yeux aucune grâce. S’il allait quelquefois à la campagne, c’était pendant la plus grande rigueur de l’hiver, afin d'étre seul, et de méditer plus pro- · fondement quelque chimère. Il était triste, inquiet, rêveur, extrème dans ses espérances et dans ses craintes, immo- déré dans ses chagrins et dans ses joies; peu de chose abattait son esprit violent, et les moindres succès le rele- vaient. Si quelque lueur de fortune le tlattait de loin, alors il devenait plus solitaire, plus distrait et plus taciturne; il ne dormait plus, il ne mangeait point; la joie consuniait