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ET MAXIMES.

contraire, des esprits très-vastes, qui savaient fort peu. Ni l’ignorance n’est défaut d’esprit, ni le savoir n’est preuve de génie[1].

218. La vérité échappe au jugement, comme les faits échappent à la mémoire : les diverses faces des choses s’emparent tour à tour d’un esprit vif, et lui font quitter et reprendre successivement les mêmes opinions. Le goût n’est pas moins inconstant : il s’use sur les choses les plus agréables, et varie comme notre humeur[2].

219. Il y a peut-être autant de vérités parmi les hommes que d’erreurs, autant de bonnes qualités que de mauvaises, autant de plaisirs que de peines[3] ; mais nous aimons à contrôler la nature humaine, pour essayer de nous élever au-dessus de notre espèce, et pour nous enrichir de la considération dont nous tâchons de la dépouiller. Nous sommes si présomptueux, que nous croyons pouvoir séparer notre intérêt personnel de celui de l’humanité, et médire du genre

  1. Var. : « C’est une maxime frivole que celle qu’on adopte depuis si longtemps : qu’il faut qu’un honnête homme sache un peu de tout. On peut savoir superficiellement beaucoup de choses, et avoir l’esprit fort petit ; et on voit, au contraire, de très-grandes âmes, qui savent très-peu. Il faut ignorer de bon cœur ce que la nature n’a pas mis dans l’étendue de notre génie. On ne sait utilement que ce qu’on possède parfaitement ; le reste ne nous sert qu’à satisfaire une vanité puérile. Ceux même qui ont l’esprit étendu, s’ils ne l’ont en même temps juste et modeste, le gâtent par ces connaissances superficielles, et altèrent les vérités qu’ils ont acquises ; en sorte qu’on aimerait mieux qu’ils ne sussent rien, que de savoir tant et si mal. J’en rapporterais des exemples, si les exemples pouvaient nous instruire ; mais je le ferais sans succès. L’ostentation est un écueil inévitable pour les âmes faibles ; on ne corrigera jamais les hommes d’apprendre des choses inutiles. » — Autre Var. : [ « Il n’y a aucun esprit qui soit capable de toutes les vérités et de tous les talents ; les bornes des plus beaux génies sont étroites, et, lorsqu’ils en veulent sortir, ils s’égarent, et montrent leur faible. Il n’y a aucune science qui ne soit, à elle seule, plus vaste que l’esprit humain ; il n’y en a donc aucune qui ne puisse occuper et absorber l’esprit le plus étendu. C’est à ceux qui sont incapables de rien approfondir qu’il appartient d’effleurer tous les objets ; mais, quand on se sent en état d’embrasser et de posséder parfaitement quelque science ou quelque art, c’est une vanité bien puérile d’abandonner son talent, pour donner à un esprit très-limité une grande et faible surface. » ]
  2. [Commun. — V.]
  3. La 1re édition ajoutait : « Mais nous n’accusons que nos maux. » — G