Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/24

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pressentiment social de Virgile ; il aspirait dès lors, avec une ardeur qui ne peut s’empêcher d’éclater, à cette pacification définitive qu’il faudra encore dix années pour accomplir. Cette Églogue, même en y faisant la part de tout dithyrambe composé sur un berceau, dépasse les limites du genre, et elle devance aussi sa date ; elle est plus grande que son moment, et digne déjà des années qui suivront Actium. Virgile, dans une courte éclaircie d’orage, anticipe et découvre le repos et la félicité du monde sous un Auguste ou sous un Trajan.

Dans ses Géorgiques il fait de même, il aspire au delà. Et qu’est-ce donc, par exemple, que ce début solennel du livre III, cette espèce de triomphe que se décerne à lui-même le poëte pour avoir le premier enrichi sa patrie des dépouilles d’Ascrée et y avoir amené les Muses de l’Hélicon ? Il bâtira, dit-il, un temple de marbre au sein d’une vaste prairie verdoyante, sur les rives du Mincio. Il y placera César (c’est-à-dire Auguste) comme le dieu du temple, et il instituera, il célébrera des courses et des jeux tout à l’entour, des jeux qui feront déserter à la Grèce ceux d’Olympie. Lui le fondateur, le front ceint d’une couronne d’olivier et dans tout l’éclat de la pourpre, il décernera les prix et les dons. Sur les dehors du temple se verront gravés dans l’or et dans l’ivoire les combats et les trophées de celui en qui se personnifie le nom romain. On y verra aussi debout, en marbre de Paros, des statues où la vie respire, toute la descendance d’Assaracus, cette suite de héros venus de Jupiter, Tros le grand ancêtre, et Apollon fondateur de Troie. L’Envie enchaînée et domptée par la crainte des peines vengeresses achèvera la glorieuse peinture. Les vers sont admirables et des plus polis, des plus éblouissants qui soient sortis de dessous le ciseau de Virgile. Cette pure et sévère splendeur des marbres au sein de la verdure tranquille du paysage nous offre un parfait emblème de l’art virgilien. Le poëme didactique ici est dépassé dans son cadre : c’est grand, c’est triomphal, c’est épique déjà. Ce temple de marbre, peuplé