Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/25

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de héros troyens, que se promettait d’édifier Virgile, et qui est tout allégorique, il l’a réalisé d’une autre manière et qu’il ne prévoyait point alors, il l’a exécuté dans l’Énéide : il n’avait fait que présager et célébrer à l’avance son Exegi monumentum ! En mourant, il doutait qu’il l’eût accompli : c’est à nous de rendre aux choses et à l’œuvre tout leur sens, d’y voir toute l’harmonieuse ordonnance, et de dire que Virgile mourant, au lieu de se décourager et de défaillir, aurait pu se faire relire son hymne glorieux du troisième chant des Géorgiques, et, satisfait de son vœu rempli, rendre le dernier souffle dans une ivresse sacrée[1].

Et maintenant, ce me semble, que nous nous rendons mieux compte de ce sentiment élevé et allant au grand sous son voile de douceur, qui de tout temps existait dans l’âme et dans le talent de Virgile, et qui n’avait besoin que d’être soutenu et encouragé par Pollion, par Mécène (la gradation est à souhait), par Auguste enfin, nous n’avons pas à craindre de faire amplement la part de celui-ci et de le voir intervenir. L’histoire de la conception de l’Énéide ne saurait se séparer en effet des premières années de l’empire d’Auguste, et il importe, pour apprécier l’influence et toute l’inspiration du poëme de Virgile, de se bien représenter l’état de la chose romaine (je ne dis plus de la république) à ce moment.

Laissons dans le lointain les souvenirs affreux du triumvir, dépouillons Octave avec Auguste, dans cette forme nouvelle et suprême qu’il revêtit ; tâchons de tout en oublier, comme fit le monde. Auguste, qui, depuis quelques années qu’il gouvernait seul l’Italie et l’Occident, avait fait l’essai de son système d’habileté clémente, arraché à ces heureux préludes et forcé de se tourner contre un rival, avait dû encore, et d’un même coup, tout risquer et tout

  1. On a supposé que ce morceau du IIIe livre des Géorgiques y avait été inséré après coup par le poëte, et lorsque déjà il s’occupait de l’Énéide ; il y a des détails qui semblent en effet avoir été ajoutés un peu plus tard ; mais le cadre premier existait, je le crois, et le sens général, selon l’opinion de Heyne, est plutôt prophétique qu’historique.