Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce sont ces mêmes jeux troyens par où se couronne et se termine la description des jeux célébrés par Énée en Sicile en l’honneur d’Anchise : « L’escadron des enfants s’avance, et tous pareils, devant les yeux de leurs parents, ils brillent sur des chevaux à freins d’or. » Chez Virgile, l’armée équestre est divisée en trois brigades, qui ont chacune son chef, un jeune Priam, un jeune Atys l’ami d’Ascagne, et Ascagne lui-même, monté sur un cheval de Tyr ou de Numidie, présent de Didon. Leurs combats, leurs mêlées, leurs tours et leurs retours sont comparés par le poëte aux mille entrelacements du labyrinthe de Crète, ou aux fuites et refuites des dauphins jouant dans la sérénité sur la surface des flots.

Le jour où, pour le triomphe d’Auguste, on célébrait ces jeux au Cirque, et où Virgile, ayant accompli le chef-d’œuvre de ses Géorgiques, venait sans doute de Naples à Rome pour être témoin de tant de magnificences ; ce jour-là, où il ressentait en lui, dans cette âme de poëte qui est au plus haut degré l’âme de tous, cet immense besoin de paix et de félicité dans la grandeur, qui était alors le cri impérieux de tout le monde romain, — besoin de paix si puissant et si véritablement sorti des entrailles de la terre, que le pieux et savant Tillemont n’a voulu y voir qu’une soif instinctive et un pressentiment de cette autre paix divine qu’allait apporter dans l’ordre moral le Sauveur du monde ; — ce jour où le temple de Janus était fermé, ce qui ne se voyait que pour la troisième fois depuis la fondation de Rome (non pas qu’il n’y eût encore quelques troubles en Espagne, dans les Gaules et ailleurs, mais cela, dit Tillemont, ne se considérait pas dans la grandeur de l’Empire ;) — ce jour-là Virgile sentait déjà flotter en lui le cadre et le monde de son Énéide, et s’il fallut un mot d’Auguste pour l’y décider, ce mot ne fit qu’éclairer à ses propres yeux son désir, lui en donner le courage, et illuminer rapidement en lui le chaos fécond qui aspirait de soi-même à la lumière.