Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/32

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c’est Livia : Latinus, c’est Lépidus : Amata, c’est Fulvie ; l’orateur Drancès (oh ! ici je me révolte) serait Cicéron. Il n’est pas jusqu’au médecin lapis qui ne soit Antonius Musa, le médecin d’Auguste. — Non, non, encore une fois non, me crie de toutes ses forces ma conscience poétique ; non, cela n’est pas, et plus vous dépensez d’esprit et de curiosité ingénieuse à découvrir quelques rapports dans de petites circonstances rapprochées du poëme à l’histoire, plus vous prouvez contre vous-même, car jamais génie vraiment poétique n’a procédé ainsi. Que Virgile, qui pensait à beaucoup de choses, ait répandu et comme projeté en maint endroit, dans la composition de son poëme, des reflets et des teintes empruntés aux événements et aux personnages d’alentour, comme il y a des réflexions mouvantes des nuages qui courent sur les vastes paysages verdoyants et sur les cimes agitées des forêts ; que cela donne des jours et fasse passer des rayons qui éveillent aussi toutes sortes de pensées, je ne le nie pas ; mais qu’on prétende réduire cet ensemble à la proportion calculée et symétrique d’une allégorie concertée et continuelle, là est le faux, l’absurde.

Certes, il y a dans le caractère d’Énée des intentions, des réverbérations marquées et sensibles du caractère et de la politique d’Auguste, des teintes d’Auguste sur le front d’Énée, mais rien que des réverbérations et des teintes.

En un mot, Virgile a fait un poëme, c’est-à-dire quelque chose de libre et d’inspiré, de combiné en vertu d’éléments secrets dont nul ne sait tout à fait les proportions ni les mystères : il n’a pas pris son époque avec ses personnages et ses passants au miroir dans la chambre obscure. — Chassons donc à jamais cette idée petite et toute mécanique d’allégorie, et tenons-nous dans l’idée générale et vaste d’un grand poëme national romain.

Il n’a fait ni voulu faire ni une Théséide, ni une Thébaïde, ni une Iliade purement grecque en beau style latin : il n’a pas voulu non plus faire purement et simplement un poëme