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Livre cinquième




Cependant Énée, fermement décidé à poursuivre sa route, commençait à fendre avec ses vaisseaux la pleine mer, dont les flots étaient noircis par l’Aquilon. Son regard se tournait vers les murs de Carthage, qu’éclairent déjà les flammes allumées par la malheureuse Didon. Quelle peut être la cause de ce vaste embrasement ? On l’ignore ; mais on sait jusqu’où peuvent aller les cruelles douleurs de l’amour outragé, et ce dont est capable une femme furieuse ; et les Troyens en conçoivent dans leurs cœurs un sinistre augure.

Dès que leurs vaisseaux tinrent la haute mer, que toute terre eut disparu, et qu’on n’aperçut plus, de tous côtés, que les eaux et le ciel, un nuage, qui dans son sein portait la nuit et la tempête, s’arrêta sur la flotte, et l’onde se couvrit d’horribles ténèbres. Le pilote lui-même, Palinure, du haut de sa poupe, s’écrie : « Hélas ! pourquoi ces sombres nuages ont-ils obscurci le ciel ? puissant Neptune, que nous prépares-tu ? » Il dit, et ordonne aussitôt de serrer les voiles et de se courber fortement sur les