Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/43

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il flatte et consacre ces récentes amours, ces illusions peut-être du peuple romain, qui sont aussi les douleurs de la famille d’Auguste : « Les Destins ne feront que le montrer à la terre… Malheureux enfant, pour peu que tu puisses vaincre la fatalité rigoureuse, tu seras Marcellus. »

Et maintenant, qu’on joigne par la pensée à cette prédiction magnifique d’Anchise ce qui la complète dans le bouclier également prophétique d’Énée, le spectacle de la bataille d’Actium, Auguste d’un côté, majestueux, tranquille, debout et en vue à la poupe avec tous les Dieux légitimes, tous les Dieux de la patrie ; de l’autre, Antoine et Cléopâtre, et leurs peuples bigarrés venus des rivages de l’Aurore, et tous leurs Dieux bizarres aussi, tous ces Dieux hurlants, aboyants, sortis des fanges du Nil pour faire assaut à l’Olympe et à ses nobles divinités au profil sévère ; et Apollon l’arc à la main, encore une fois vainqueur de Python et, du haut de son promontoire d’Actium où il a un temple, dissipant de ses flèches d’or toute cette cohue confuse et barbare : qu’on se représente, qu’on se rappelle dans les vers les plus noblement harmonieux et les plus amis de la mémoire tout ce que je parcours à la hâte, cet abrégé vivant de l’histoire et de la destinée présente du grand peuple qui se croyait alors l’univers ; on n’aura pas de peine à comprendre comment, avec de si neufs tableaux allant se rejoindre aux splendeurs du passé et réchauffer les peintures homériques elles-mêmes, Virgile a rajeuni son sujet, se l’est rendu tout à fait propre à lui et à sa nation, et y a intéressé tous les orgueils, ou mieux que cela, tous les cœurs.

Quand un poëte a le génie et l’art d’exprimer ainsi le sentiment présent et actuel de sa nation (que cette nation soit petite ou grande, pourvu qu’elle soit glorieuse), d’exalter le sentiment de sa domination et de son triomphe, et aussi de réfléchir et de peindre les horizons lointains et les antiquités fabuleuses, il unit tout, il ne lui manque rien pour ravir et enlever son siècle et l’avenir.