Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/55

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le poursuivent dans ses rêves ; il les a retenues, et il n’aura de contentement que lorsqu’il les aura à son tour reproduites et imitées. Surtout s’il s’agit des Grecs, si c’est dans leur langue et leur littérature qu’il puise pour enrichir la sienne, il a hâte de montrer son butin. Sa première Églogue, je veux dire la première en date, est toute parsemée des plus gracieuses images de Théocrite, de même que son premier livre de l’Énéide se décore des plus célèbres et des plus manifestes comparaisons d’Homère ; c’est tout d’abord et aux endroits les plus en vue qu’il les présente et qu’il les place. Loin d’en être embarrassé, il y met son honneur, il se pare de ses imitations avec orgueil, avec reconnaissance. C’est, à un degré de parenté encore plus prochain, le même sentiment qui fait que Racine est heureux de marquer dans sa poésie un souvenir d’Euripide et de Sophocle. Cette imitation des livres et des auteurs, à ce degré de sentiment et avec une si vive réflexion des beautés, est encore une manière de naturel ; c’est le sang qui parle ; ce ne sont pas des auteurs qui se copient, ce sont des parents qui se reconnaissent et se retrouvent. Et à leur tour les gens instruits sont heureux de retrouver dans une seule lecture le souvenir et le résumé de toutes leurs belles lectures.

En vain, du temps de Virgile et depuis, des critiques ont-ils essayé de réclamer sur ce grand nombre d’imitations, et d’introduire à ce sujet l’accusation odieuse de plagiat. On a fait des volumes tout composés de ces passages empruntés aux Grecs par Virgile ; il y en a eu des recueils qui ont paru chez les Romains peu après la publication de l’Énéide, et dans une pensée de dénigrement ; on a refait de tels recueils à l’usage des modernes depuis la Renaissance, et dans une simple vue d’érudition. Dès longtemps la question est jugée, et le sentiment qui a prévalu est celui que je voyais hier encore exprimé dans une correspondance familière par un homme de grand goût (l’illustre Fox) : « J’admire Virgile plus que jamais pour cette faculté