Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/56

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qu’il a de donner l’originalité à ses plus exactes imitations. » Plus on examine, et plus on en revient à cette conclusion, qui concilie les droits du talent à tous les degrés et aux divers âges.

Cependant il faut tout dire : s’il s’agit des Latins, et en exceptant Lucrèce, qu’il semble avoir honoré comme un véritable ancien, Virgile en use un peu plus librement et certes avec un moindre sentiment de respect : c’est ainsi qu’en même temps qu’il prend à Nævius pour le fond, il dérobe à Ennius surtout, à Attius et sans doute à d’autres encore, le petit nombre de bons vers et de beaux mots qui méritent d’être sauvés du naufrage et de l’oubli. Il fait comme Molière, il prend son bien où il le trouve. Comme on lui demandait ce qu’il faisait d’un Ennius qu’il avait entre les mains : « Je tire de l’or, répondait-il, du fumier d’Ennius. » Ici on sent moins le disciple pieux et l’admirateur que le poëte souverain à son tour, qui use de son droit avec licence. Il sait bien qu’il fait honneur à ces vieux poëtes Italiotes et tout pleins de rusticité en leur prenant ce qu’ils ont de bon et en y donnant asile. S’il y a un beau vers perdu quelque part chez eux et comme tombé de leurs œuvres ou errant, il le place chez lui et le loge dans son palais de marbre, en un lieu éclairé. Voilà leur vers devenu immortel ! ils n’ont qu’à le remercier et non à se plaindre.

Quelquefois aussi pourtant, même avec les Latins, s’il prend un vers connu et qui est dans toutes les mémoires, c’est pour rendre hommage et faire une politesse à celui de qui il l’emprunte notoirement et à qui chacun le rapporte. Ainsi fait-il, au moins en un endroit, pour son ami et son contemporain un peu plus ancien d’âge, Varius. Il a mis deux vers de lui presque en entier dans son sixième livre. C’était une manière publique de lui dire : « Je ne saurais rien trouver de mieux. » Mais en fait d’emprunts purement latins et domestiques, ce dernier sentiment de déférence chez Virgile est moins habituel que le sentiment opposé.

Ainsi, double procédé : avec les grands auteurs et poëtes