Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/147

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La visite qu’il reçut d’Édith dans sa prison, l’intérêt profond et dévoué qu’elle avait montré pour son sort, auraient dû dissiper ses soupçons ; cependant, ingénieux à se tourmenter, il pensa que l’on pouvait l’attribuer à l’amitié inquiète, ou au moins à un intérêt momentané, qui céderait probablement bientôt aux circonstances, aux sollicitations de ses amis, à l’autorité de lady Marguerite, et aux soins assidus de lord Evandale. « Et pourquoi, disait-il, ne puis-je jouir des privilèges de tout homme, et faire la demande de sa main avant de m’en avoir ainsi frustré ?… Pourquoi ? parce que je suis dominé par la tyrannie maudite qui paralyse tout à la fois nos corps, nos âmes, nos biens et nos affections. Et est-ce à l’un des assassins pensionnés de ce gouvernement oppresseur qu’il faut que je cède mes prétentions sur Édith Bellenden ?… Non, de par le ciel !… C’est pour me punir justement d’avoir été insensible aux maux publics, que mes propres malheurs sont venus m’affliger à un tel point que je ne puis les supporter. »

Tandis que ces résolutions orageuses s’agitaient dans son sein, et qu’il récapitulait les divers genres d’insultes et de torts qu’il avait soufferts pour sa cause et celle de son pays, Bothwell entra dans sa chambre, suivi de deux dragons, dont l’un portait des menottes.

« Il faut que vous me suiviez, jeune homme, dit-il ; mais d’abord il faut qu’on vous équipe. — Qu’on m’équipe ! dit Morton : que voulez-vous dire ? — Qu’il faut que nous vous mettions ces rudes bracelets ; je n’oserais pas, non, de par le diable ! je n’oserais pas, moi qui peux tout oser ; non, je ne voudrais pas, quand il s’agirait de trois heures de pillage dans une ville prise d’assaut, amener devant mon colonel un républicain qui ne serait pas enchaîné. Allons, allons, jeune homme, ne prenez pas un air sombre pour cela. »

Il s’avança pour lui mettre les fers aux mains, mais saisissant le tabouret de chêne sur lequel il avait été assis, Morton menaça de fendre le crâne au premier qui l’approcherait.

« Je vous maîtriserais en un instant, mon jeune garçon, dit Bothwell ; mais j’aime encore mieux que vous mettiez à la voile paisiblement. »

Il disait vrai, non qu’il eût crainte ou répugnance d’employer la force ; mais il redoutait les suites d’une querelle bruyante qui aurait fait découvrir qu’il avait, contre les ordres exprès, permis à son prisonnier de passer la nuit sans être enchaîné.