Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/152

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en soit ainsi, reprit Graham… Mais, jeune homme, si vous désirez dans votre vie future vous élever très-haut dans le service de votre roi et de votre pays, que votre première tâche soit de soumettre à l’intérêt public et à vos devoirs toutes vos passions particulières, vos affections et vos sentiments. Nous ne sommes pas dans un temps à pouvoir sacrifier aux rêveries de vieux barbons, ou aux larmes de femmes faibles, les mesures de sévérité salutaire que les dangers dont nous sommes entourés nous obligent à adopter. Et rappelez-vous que si je cède aujourd’hui à vos prières, cette concession doit m’épargner à l’avenir des sollicitations du même genre. »

Il s’avança alors vers la table, et porta ses yeux pénétrants sur Morton, comme pour observer quel effet aurait produit sur le prisonnier la pause d’incertitude terrible entre la vie et la mort, qui semblait glacer d’horreur les assistants. Morton conservait un degré de fermeté que nul autre qu’une âme qui n’avait plus rien à aimer ni à espérer sur terre n’aurait pu conserver dans une pareille crise.

« Vous le voyez, » dit Claverhouse à demi-voix à lord Evandale, « il est placé entre le temps et l’éternité, situation plus effrayante que la plus horrible certitude ; néanmoins, son front est le seul qui n’ait point pâli ; lui seul a l’œil calme ; son cœur est le seul ici qui batte comme à l’ordinaire, ses nerfs sont les seuls qui ne tressaillent point. Regardez-le bien, Evandale… Si cet homme arrive jamais à la tête d’une armée de rebelles, vous aurez à répondre de votre œuvre de ce matin. » Puis il dit tout haut : « Jeune homme, votre vie est en sûreté pour l’instant, grâce à l’intercession de vos amis… Éloignez-le, Bothwell, et qu’il soit gardé convenablement, et emmené avec les autres prisonniers. — Si ma vie, » dit Morton piqué de l’idée qu’il devait ce répit à l’intercession d’un rival favorisé ; « si ma vie est accordée à la requête de lord Evandale… — Emmenez le prisonnier, Bothwell, » dit le colonel Graham en l’interrompant ; « je n’ai le temps ni d’entendre ni de faire de belles phrases. »

Bothwell força Morton à partir, en lui disant, tandis qu’il le conduisait dans la cour : « Avez-vous trois vies dans votre poche, outre celle que vous avez dans votre corps, mon garçon, pour permettre à votre langue de courir ainsi la poste devant eux ? Allons, j’aurai soin de vous tenir loin du colonel ; car, mon Dieu ! vous ne seriez pas cinq minutes devant lui qu’il vous ferait pendre