Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/384

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grand plaisir ; car Niel Blane, bien qu’il ne s’attendît pas positivement à une telle offre de la part d’un hôte qui n’arrivait pas en meilleur équipage, était toujours disposé à l’accepter sans cérémonie. Il prit place en face de Morton, dans un coin près de la cheminée ; et tout en buvant plus de la moitié du vin qu’il avait servi, car celui-ci ne le ménageait pas, il se mit, comme pour remplir une autre partie de ses fonctions ordinaires, à raconter les nouvelles du pays, les naissances, les morts, les mariages, les mutations de propriétés, la ruine des anciennes familles et l’élévation des nouvelles ; mais la politique, source inépuisable de conversation à cette époque, lui était tout à fait étrangère, et ce ne fut que pour répondre à une question que lui faisait Morton, qu’il dit avec un air d’indifférence : « Ma foi, oui ! nous avons toujours des soldats ici, plus ou moins : il y a en ce moment à Glasgow, une troupe de cavalerie allemande dont le commandant s’appelle Wittybody, ou quelque nom semblable ; et c’est bien le Hollandais le plus grave et le plus sérieux que j’aie jamais vu. — Wittenbold, peut-être ? dit Morton : un vieillard à cheveux gris, portant de courtes moustaches noires, parlant peu ?… — Et fumant toujours, ajouta Niel Blane. Je vois que Votre Honneur le connaît. Ce peut être un excellent homme pour un soldat et un Hollandais ; mais fut-il dix fois général et dix fois Wittybody, il n’entend rien à la cornemuse. Croiriez-vous qu’un jour il m’a fait interrompre au milieu de l’air de Torpichan, le plus beau morceau qu’on ait jamais joué sur la cornemuse ? — Mais ces gaillards-là, » dit Morton en montrant les soldats qui étaient dans la salle, « ne sont-ils pas de son régiment ! — Eux ? non, non ; ce sont des dragons écossais, de vieilles chenilles du pays : ils ont servi sous Claverhouse, et ils y serviraient encore s’il remettait l’épée à la main. — Mais on dit qu’il a été tué ? — En effet, Votre Honneur a raison, le bruit en court ; mais, pour dire humblement mon avis, le diable n’est pas facile à tuer, et je voudrais que tout le monde fût sur ses gardes ; qu’il se montre, et tous les montagnards seront autour de lui en moins de temps qu’il ne m’en faut pour boire ce verre de vin, et, au premier signal, tous ces coquins de dragons l’auront rejoint. Au fait, ils sont aujourd’hui les soldats de Guillaume comme ils étaient hier ceux de Jacques… et la raison en est toute simple… ils se battent pour être payés ; sans cela, pour qui se battraient-ils ? ils n’ont ni terres, ni maisons, je pense. Au surplus, il y a toujours à gagner à