Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/119

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ser son ami, qui était si peu en état de la recevoir. Il avait dans le vieux Caleb un antagoniste rusé et alerte, toujours prêt à trouver au besoin des subterfuges et des excuses propres, suivant lui, à sauver l’honneur de la famille.

« Dieu soit loué ! se dit Caleb ; un des battants de la grande porte a été poussé par le vent qui a soufflé hier au soir, et je crois que je pourrai facilement fermer l’autre. »

Mais en gouverneur prudent, il voulait se débarrasser en même temps des ennemis qui étaient dans la place (et il considérait comme tels tous ceux qui mangeaient et buvaient), avant de prendre des précautions pour empêcher l’entrée de ceux dont les cris joyeux annonçaient l’immédiate arrivée. Il attendit donc avec impatience, pour exécuter son projet, que son maître eût introduit ses deux principaux hôtes dans la tour.

« Je pense, » dit-il au domestique de l’étranger, « que, comme les chasseurs apportent le cerf au château en grande cérémonie, nous, qui en sommes les habitants, devons les recevoir à la porte. »

Les domestiques, trompés par cette observation insidieuse, ne furent pas plutôt sortis que l’honnête Caleb poussa, sans perdre de temps, le second battant de la porte avec une telle force que tout le bâtiment retentit du bruit qu’il occasionna en se fermant. S’étant ainsi assuré de l’impossibilité où l’on serait de franchir le passage, il se donna un instant le plaisir de parlementer avec les chasseurs qui étaient en dehors, à travers une petite fenêtre en saillie, ou guichet, servant autrefois à reconnaître ceux qui se présentaient à la porte. Il leur donna à entendre, en peu de mots, d’un ton ferme, que jamais, sous aucun prétexte, la porte du château ne s’ouvrait à l’heure du repas ; que Son Honneur, le Maître de Ravenswood, venait justement de se mettre à table avec quelques personnes de qualité ; qu’il y avait d’excellente eau-de-vie à l’auberge de Wolf’s-Hope au bas de la colline ; et il leur laissa croire que son maître paierait leur écot. Mais ceci fut dit d’une manière obscure, ambiguë, en style d’oracle ; car, comme Louis XIV, Caleb Balderstone craignait de pousser la finesse jusqu’à la fausseté, et se contentait de tromper, s’il était possible, sans aller jusqu’au mensonge.

Une pareille annonce surprit les uns, fit rire les autres, et épouvanta les laquais expulsés, qui s’efforcèrent de prouver le droit incontestable qu’ils avaient à être réadmis, afin de servir leur maître et leur maîtresse. Mais Caleb n’était pas d’humeur à en-