Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/136

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les productions de la nature, dans un rayon de cinq milles autour de leur château, ne faisaient que sommeiller, et n’avaient nullement été abandonnées, il se promettait d’en rappeler de temps en temps le souvenir par quelques petites exactions sur les habitants. Ils s’y soumirent d’abord avec plus ou moins de bonne volonté ; car ils avaient été si long-temps habitués à regarder les besoins du baron et de sa famille comme devant passer avant les leurs, que leur indépendance actuelle ne leur donnait pas un sentiment bien clair et bien évident de leur liberté. Ils ressemblaient à un homme qui a été long-temps enchaîné, et qui, même après avoir obtenu sa liberté, s’imagine encore sentir l’étreinte des fers dont il a été chargé. Mais la jouissance de la liberté est promptement suivie du sentiment intime de ses droits, de même que le prisonnier élargi, en faisant librement usage de ses membres, dissipe bientôt la sensation de gêne qu’ils avaient éprouvée.

Les habitants de Wolf’s-Hope commencèrent à murmurer, puis ils se hasardèrent à résister, et enfin refusèrent positivement de se soumettre aux exactions de Caleb Balderstone. En vain il leur rappela que, lorsque lord Ravenswood, onzième du nom, surnommé le Skipper[1], à cause du goût qu’il avait pour tout ce qui tenait à la marine, eut encouragé le commerce de leur port, en faisant construire une jetée (espèce de digue de pierres grossièrement empilées les unes sur les autres) pour mettre les bateaux pêcheurs à l’abri des gros temps, il avait été entendu qu’il aurait la première motte de beurre[2] après que les vaches auraient vêlé dans toute l’étendue de la baronnie, ainsi que le premier œuf (d’où est venue l’expression d’œuf du lundi), qui serait pondu chaque lundi de l’année.

Les feuars[3] entendirent et se grattèrent la tête ; ils toussèrent, ils éternuèrent, et, comme on les pressait de faire une réponse, ils finirent par déclarer unanimement qu’ils ne savaient que dire, ressource universelle du paysan écossais lorsqu’on veut l’obliger à reconnaître un droit dont sa conscience lui démontre la justice, mais que son intérêt le porte à nier.

Caleb, néanmoins, remit aux notables de Wolf’s-Hope une ré-

  1. Mot qui sert à désigner le commandant d’un petit bâtiment marchand. a. m.
  2. A stone of butter, dit le texte ; ce qui veut dire un poids de quatorze livres. a. m.
  3. Un feuar est un petit propriétaire anglais qui possède un petit coin de terre pour lequel il paie à son seigneur baronnial une redevance annuelle de quelques shillings sous le nom de feu. Il peut revendre sa propriété, mais elle demeure grevée de ce droit. a. m.