Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/149

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Girder étincelant de colère ; « il ne leur est pas arrivé de malheur, j’espère : en bien ! »

Sa femme, qui ne lui parlait jamais qu’en tremblant, n’osa répondre ; mais la mère se hâta de venir à son secours. « Je les ai donnés à une de mes connaissances, Gibbie Girder, déclara-t-elle ; eh bien ! qu’avez-vous à dire maintenant ? »

Cet excès d’assurance de la part de la vieille Lightbody rendit Girder muet pendant quelques instants. « Et vous avez donné les canards sauvages ? reprit-il ; vous avez donné le meilleur plat de mon repas de baptême à une de vos connaissances, vieille sotte que vous êtes ! Et quel est son nom, je vous prie ? — Le digne M. Caleb Balderstone de Wolf’s-Crag, » répondit Marion toute prête à soutenir le combat.

La rage de Girder ne connut plus de bornes. Si quelque chose eût pu ajouter à son ressentiment, c’était l’extravagance d’avoir fait un pareil présent à notre ami Caleb, contre qui, pour des raisons bien connues du lecteur, il nourrissait l’animosité la plus décidée. Il leva sa cravache sur la vieille matrone ; mais elle tint ferme, se recueillit, et se mit à brandir la cuiller de fer avec laquelle elle venait d’arroser le mouton qui était à la broche. Elle avait certainement l’avantage des armes, et son bras n’était pas le moins vigoureux des deux, en sorte que Girder jugea qu’il était plus prudent de tourner sa colère sur sa femme : la malheureuse faisait alors entendre une sorte de gémissement hystérique qui émut extrêmement le ministre, lequel était le plus simple et le plus brave des hommes. « Et vous, sotte d’étourdie que vous êtes ! dit-il ; rester là en silence, et voir disposer de mon bien en faveur d’un fainéant, d’un ivrogne, d’un réprouvé, d’un valet décrépit ; et tout cela parce qu’il vient chatouiller les oreilles d’une vieille imbécile de femme avec ses belles phrases, où il n’y a pas deux mots de vrai. Je vais vous donner une bonne… »

Ici le ministre s’interposa et de la voix et du geste, tandis que la dame Lightbody se jeta devant sa fille, et se mit de nouveau à brandir sa cuiller.

« Ne me sera-t-il pas permis de châtier ma femme ? demanda le tonnelier d’un air d’indignation.

« Vous pouvez châtier votre femme, si cela vous fait plaisir, répondit la dame Lightbody ; mais vous ne toucherez pas ma fille du bout du doigt, vous pouvez compter là-dessus. — N’avez-vous pas de honte, M. Girder ? dit le ministre ; je ne m’attendais pas à