Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/170

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Tout en faisant ce calcul égoïste et cruel sur l’attachement supposé de Ravenswood pour Lucy, il était si loin de réfléchir au chagrin qu’il pouvait causer à celui-ci, en se jouant ainsi de son affection, qu’il ne songeait même pas au risque d’exposer sa propre fille au danger d’une passion malheureuse. Il semblait croire que son amour pût, tel que la flamme d’une bougie, s’allumer et s’éteindre à volonté. Mais la Providence préparait une affreuse punition à cet égoïste, qui avait passé toute sa vie à profiter des passions des autres.

Caleb Balderstone entra alors pour annoncer que le déjeuner était servi ; car dans ces temps, où les repas étaient plus substantiels qu’à notre époque, les restes du souper fournissaient amplement au déjeuner du lendemain. Il n’oublia pas non plus de présenter au lord garde des sceaux la boisson du matin dans une grande tasse d’étain, ornée de feuilles de persil et de cresson. Il demanda pardon d’avoir omis de la servir dans la grande tasse d’argent, ainsi qu’il aurait dû le faire ; mais on l’avait envoyée à Édimbourg, chez un orfèvre, pour la faire dorer.

« Il est très vrai qu’elle est à Édimbourg, dit Ravenswood ; mais où, et pourquoi, j’ai bien peur que ni vous ni moi nous ne le sachions. — Ce que je sais, » dit Caleb avec humeur, « c’est qu’il s’est présenté un homme à la grille ce matin. Votre Honneur sait-il s’il veut lui parler ou non ? — Désire-t-il me parler, Caleb ? — Il ne demande pas autre chose ; mais vous ferez bien de jeter un coup d’œil à travers le guichet avant d’ouvrir la porte ; il ne faut pas laisser entrer tout le monde dans le château. — Quoi ! pensez-vous que ce soit un huissier qui vienne m’arrêter pour dette ? dit Ravenswood. — Un huissier arrêter Votre Honneur pour dette, et dans votre château de Wolf’s-Crag ! Votre Honneur a envie de rire avec Caleb ce matin. » Cependant il lui parla bas à l’oreille en le suivant dehors. « Je ne voudrais pas faire tort à un honnête homme dans votre opinion, mais je vous engage à regarder à deux fois ce drôle avant de le laisser pénétrer dans ces murs. »

Ce n’était pas un officier de la justice, néanmoins ; car c’était le capitaine Craigengelt, dont le nez était aussi rouge qu’il pouvait l’être à la suite d’une copieuse libation. Son chapeau galonné était un peu de côté sur sa perruque noire ; il avait une épée au côté et des pistolets d’arçon. Il portait un habit de cavalier, garni d’un galon usé, et il offrait le portrait d’un voleur de grand chemin.