Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/194

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presseur, celui qui insulte aux malheureux, et celui qui repousse les bornes de son héritage, qui ruine les anciennes familles, étaient attachés au même bûcher que moi, je saurais dire. Allumez le feu, au nom du ciel ! — C’est effroyable, dit Lucy ; je n’ai jamais vu cette pauvre femme dans un pareil état moral ; mais la vieillesse et la misère supportent mal les reproches. Allons, Henri, laissons-la pour le moment ; elle désire être seule pour parler au Maître. Nous allons prendre le chemin de la maison, et nous nous reposerons, en attendant Ravenswood, à la fontaine de la Sirène. — Alix, dit le jeune garçon, si vous avez connaissance que quelque sorcière, prenant la forme d’un lièvre, vienne parmi les biches pour les faire avorter, vous pouvez lui faire mes compliments et lui dire que si Norman n’a pas une balle d’argent à lui envoyer, je lui prêterai un de mes boutons en place. »

Alix ne répondit rien, tant qu’elle pensa qu’ils étaient encore à portée de l’entendre. Alors elle dit à Ravenswood : « Et vous, m’en voulez-vous aussi de mon attachement ? Il est juste que des étrangers s’offensent ; mais vous aussi, vous êtes courroucé. — Je ne suis pas courroucé, Alix, répliqua-t-il ; je suis seulement surpris que vous, dont j’ai toujours entendu citer le bon sens, vous cédiez à des soupçons injurieux et sans fondement. — Injurieux ? dit Alix. Oui, la vérité est toujours injurieuse ; mais certes, ils ne sont pas sans fondement. — Je vous dis, bonne femme, qu’il n’y a pas la moindre cause de soupçon. — Alors le monde est renversé, et les Ravenswood ont perdu leur caractère héréditaire, et le jugement de la vieille Alix est encore plus aveugle que ses yeux. Quand a-t-on vu un Ravenswood rechercher la maison d’un ennemi, sinon pour se venger ? Et vous êtes venu ici, Edgard Ravenswood, guidé par un courroux dangereux, ou par un amour plus dangereux encore. — Ce n’est ni l’un ni l’autre, dit Ravenswood, je vous le jure sur l’honneur ; c’est-à-dire, je vous l’assure. »

Alix ne put voir la rougeur qui couvrit ses joues, mais elle remarqua qu’il hésitait et qu’il semblait rétracter son serment.

« Il en est donc ainsi ? » dit-elle avec tristesse ; « et elle doit vous attendre à la fontaine de la Sirène ! On a souvent répété que ce lieu était fatal à la race des Ravenswood. Souvent on en a eu la preuve, mais jamais ces vieux proverbes n’ont paru devoir se vérifier aussi bien qu’aujourd’hui. — Vous me rendrez fou, Alix ! dit Ravenswood ; vous êtes plus sotte et plus superstitieuse que