Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/204

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vainqueur orgueilleux. Il n’y avait, nous le répétons, aucune cause raisonnable de crainte, et l’on ne pourrait dire que Ravenswood l’eût sérieusement éprouvée un seul instant. D’ailleurs, il était impossible de considérer les yeux de Lucy Ashton, et d’entretenir le moindre doute sur sa sincérité. Néanmoins, l’orgueil et la pauvreté se réunissaient pour rendre soupçonneux un esprit qui, en des circonstances plus heureuses, aurait été inaccessible aux petitesses de la défiance.

Ils arrivèrent au château, où sir William Ashton, que leur absence avait alarmé, les attendait dans la salle.

« Si Lucy, dit-il, avait été avec toute autre personne que celui qui a si bien su la protéger, j’aurais été inquiet, et j’aurais envoyé après elle ; mais auprès du Maître de Ravenswood, je savais que ma fille n’avait rien à craindre. »

Lucy balbutia quelques excuses sur leur retard, mais sa conscience la força de s’arrêter toute confuse ; et quand Ravenswood voulut venir à son secours, il ne fit que partager son embarras, comme celui qui, voulant retirer son ami d’un bourbier, s’y enfoncerait avec lui. On ne peut supposer que la confusion des jeunes amants échappât à l’artificieux homme de loi ; mais il était de sa politique de ne pas la remarquer. Il voulait tenir le Maître de Ravenswood dans les liens, mais être libre lui-même ; et il ne lui vint pas dans l’idée que son plan pourrait bien être dérangé, si sa fille partageait la passion qu’elle inspirait. En supposant que, par hasard, elle ressentît quelque inclination pour Ravenswood, et que les circonstances ou le refus absolu de lady Asthon vinssent l’entraver, il se figurait qu’un voyage à Édimbourg, ou même à Londres, un cadeau de belles dentelles de Bruxelles, les hommages empressés d’une demi-douzaine de jeunes gens suffiraient pour lui faire renoncer à celui qu’en voudrait qu’elle oubliât. D’après ces idées, qui lui paraissaient mettre les choses au pis, il se sentait disposé à encourager plutôt qu’à réprimer l’attachement de Lucy pour le Maître de Ravenswood.

D’ailleurs, en le considérant sous un point de vue plus agréable, le mariage de Lucy avec le Maître de Ravenswood lui paraissait très-convenable : par cette union, une haine de famille qui ne laissait pas que de l’inquiéter beaucoup se trouvait assoupie ; les intérêts des deux maisons devenaient les mêmes ; sa conscience se trouvait débarrassée d’un fardeau qui ne lui pesait que trop souvent ; enfin, il devenait le beau-père d’un homme chez lequel