Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/21

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style de Rubens, tableau qui parut subitement dans le meilleur parloir, prouva évidemment que Dick avait trouvé un moyen de se procurer les nécessités de la vie en échange des productions de son art.

Rien, toutefois, n’est plus précaire que de semblables ressources. On remarqua que Dick devenait, à son tour, le but des bons mots, quelquefois piquants, de mon hôte, sans oser ni se défendre, ni prendre sa revanche ; que son chevalet avait été transporté dans une chambre au galetas où il y avait à peine assez d’espace pour le faire tenir droit, et qu’il ne se hasardait plus à paraître au club hebdomadaire dont il avait été autrefois l’âme et la vie. En un mot, les amis de Tinto craignirent qu’il n’eût fait comme l’animal que l’on appelle le paresseux, qui, après avoir mangé la dernière feuille verte de l’arbre sur lequel il s’est établi, finit par tomber du faîte et meurt d’inanition. Je me hasardai à lui faire entrevoir une pareille perspective ; je l’engageai à transporter son précieux talent dans une autre sphère et à abandonner un terrain qu’il avait, on pouvait le dire avec raison, entièrement épuisé.

« Il y a un obstacle qui s’oppose à mon changement de résidence, » dit mon ami en me serrant la main d’un air grave.

« Un mémoire que vous devez à votre propriétaire, je m’imagine ? » répliquai-je avec cette sympathie que l’on ressent pour le malheur ; « si mes faibles moyens peuvent vous aider à sortir de… — Non, par l’âme de sir Joshua[1], « répondit le généreux jeune homme ; je ne ferai jamais partager à un ami les embarras qui sont la suite de ma mauvais fortune. Il reste un moyen de reconquérir ma liberté, et mieux vaut encore s’échapper par un égoût que rester en prison.

Je ne compris pas exactement ce que mon ami voulait dire ; la muse de la peinture paraissait l’avoir abandonné, et je ne pus deviner quelle autre déesse il pouvait invoquer dans sa détresse. Nous nous séparâmes cependant, sans autre explication, et je ne le revis que trois jours après, lorsqu’il m’invita à prendre ma part du foy ou repas d’adieu[2] dont son hôte se proposait de le régaler avant son départ pour Édimbourg.

Je trouverai Dick nageant pour ainsi dire dans la joie, sifflant

  1. Sir Joshua Reynolds, célèbre peintre anglais. a. m.
  2. Foy, mot qui veut dire fête d’adieu, que l’on donne en Écosse à quiconque va partir pour embrasser une profession ou aller dans un autre pays. a. m.