Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/227

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sans même jeter un regard sur la personne à laquelle il était ainsi présenté, dit d’un ton significatif : « Le capitaine Craigengelt et moi nous nous connaissons déjà parfaitement. — Parfaitement… parfaitement, » répéta le capitaine d’une voix entrecoupée, comme un écho, et faisant décrire à son chapeau un cercle beaucoup moins large que ceux qu’il avait tracés lors de sa présentation au marquis et au garde des sceaux.

Lockhard, suivi de trois domestiques, entra en ce moment pour présenter le vin et les rafraîchissements qu’il était alors d’usage d’offrir avant le dîner ; dès qu’ils furent déposés sur la table, lady Ashton demanda la permission de se retirer avec son mari pour quelques minutes, ayant à l’entretenir d’affaires particulièrement importantes. Le marquis, comme on peut bien le croire, pria lady Asliton de ne point se gêner, et Craigengelt, après avoir avalé en toute hâte un second verre d’excellent vin des Canaries, s’empressa de sortir du salon, peu désireux de rester en tiers avec le marquis d’Athol et le Maître de Ravenswood ; la présence du premier le tenant dans une crainte respectueuse, et celle du second lui inspirant une véritable terreur. Quelques instructions qu’il avait à donner au sujet de son cheval et de son bagage servirent de prétexte à sa brusque sortie, sur la nécessité de laquelle il insista, quoique lady Ashton eût prescrit à Lockhard d’avoir un soin tout particulier du capitaine Craigengelt et de prévenir ses moindres désirs.

Le marquis et le Maître de Ravenswood restèrent donc seuls, libres de se communiquer leurs observations sur l’accueil qu’ils avaient reçu, tandis que lady Ashton, sortant de l’appartement, suivie de son mari qui ressemblait à un criminel qui va subir sa condamnation, se retira dans son cabinet de toilette.

Dès qu’ils y furent entrés, elle s’abandonna à la violence de son caractère, qu’elle avait, non sans beaucoup de peine, réprimée par égard pour les apparences. Fermant la porte, après y avoir pour ainsi dire poussé son mari alarmé, elle en retira la clef, et avec une hauteur qui se lisait aisément sur un visage que le nombre des années n’avait pas encore dépouillé de tous ses charmes, avec un regard qui annonçait autant de résolution que de ressentiment : « Je ne suis pas surprise, milord, dit-elle, des liaisons qu’il vous a plu de former pendant mon absence ; elles sont parfaitement dignes de votre naissance et de votre éducation : je m’attendais peut-être à autre chose ; mais je reconnais franchement