Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/280

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CHAPITRE XXVIII.

entretien de bucklaw et de craigengelt.


Vit-on jamais femme courtisée de cette manière ? Vit-on jamais femme subjuguée de cette manière ? Je l’épouserai.
Shakspeare, Richard III.


Un an s’était écoulé depuis le départ du Maître de Ravenswood. On n’avait pas cru que son absence dût être de si longue durée ; mais sa mission, ou, suivant un bruit généralement répandu, des affaires personnelles le retenaient encore sur le continent. Pendant ce laps de temps, il s’était opéré un grand changement dans la famille Ashton, et, pour en donner une idée au lecteur, nous allons rapporter la conversation suivante, qui eut lieu entre Bucklaw et son cher compagnon de bouteille, le fameux capitaine Craigengelt.

Ils étaient assis dans la salle à manger du château de Girnington, aux deux côtés d’une immense cheminée construite en pierre de taille, et qui ressemblait à un monument sépulcral. Un feu de bois brillait dans la grille ; une table ronde, en bois de chêne, placée entre eux, soutenait une bouteille d’excellent vin de Bordeaux, deux larges coupes et quelques autres objets propres à exciter la sensualité des deux amis. Cependant le maître du château avait un air d’irrésolution, de doute et de mécontentement, tandis que le parasite appelait à son secours toutes les ressources de son invention pour se garantir des effets de ce qu’il appelait un accès de mauvaise humeur de la part de celui dont il voulait se conserver la protection. Après un long silence qui n’était interrompu que par la retraite du diable, que Bucklaw battait avec le bout de sa botte contre la pierre du foyer, Craigengelt se hasarda enfin à prendre la parole.

« Que le diable me rompe les jambes, dit-il, si vous ressemblez en rien à un homme qui va se marier ! On vous prendrait plutôt pour un malheureux condamné au gibet… — Grand merci du compliment, répondit Bucklaw ; mais je m’imagine qu’en parlant ainsi, vous pensez à la position dans laquelle probablement vous vous trouverez vous-même un jour. Dites-moi un peu, je vous prie, capitaine Craigengelt, si Votre Honneur veut bien condescendre à me répondre, pourquoi j’aurais l’air gai, quand je suis triste, diablement triste ? — Et c’est là ce qui me met l’âme à l’envers, dit Crai-