Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/284

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pu exercer sur l’esprit de sa fille, et lui firent perdre l’occasion de s’assurer par lui-même des véritables sentiments de Lucy.

Le reste de la compagnie sortit, et bientôt après lady Ashton et sa fille entrèrent dans l’appartement. Lucy parut à Bucklaw telle qu’il l’avait vue dans ses visites précédentes, plutôt calme qu’agitée ; mais un juge plus exercé et plus réfléchi que lui aurait eu peine à décider si ce calme était celui du désespoir ou celui de l’indifférence. Il était d’ailleurs trop ému lui-même pour démêler avec exactitude les sentiments de la jeune personne : il balbutia quelques phrases incohérentes, confondit ensemble les différents objets auxquels elles avaient rapport, et resta court avant d’avoir pu terminer son discours d’une manière tant soit peu claire. Miss Ashton l’avait écouté, ou avait eu l’air de l’écouter ; mais elle ne fit aucune réponse, et continua à tenir ses regards attachés sur un petit ouvrage de broderie, dont, soit par instinct, soit par habitude, elle s’occupait avec beaucoup d’attention. Lady Ashton était assise à peu de distance, dans une embrasure de croisée, où elle se tenait comme en embuscade ; mécontente du silence que gardait sa fille, elle lui dit d’un ton qui, bien que doux et affectueux, exprimait un avertissement, sinon un ordre : « Lucy, ma chère, à quoi pensez-vous donc ? Avez-vous entendu ce que M. Bucklaw vous a dit ? »

La jeune infortunée paraissait avoir perdu tout souvenir de la présence de sa mère. Elle tressaillit, laissa tomber son aiguille, et prononça à la hâte et presque tout d’une haleine, ces paroles contradictoires : « Oui, madame… non, milady… je vous demande pardon… je n’ai pas entendu. — Vous n’avez pas besoin de rougir, mon enfant, et moins encore de pâlir et de trembler, » dit lady Ashton en s’approchant d’elle ; « nous savons qu’une jeune personne ne doit point se montrer empressée de prêter l’oreille aux discours des hommes, mais vous devez vous rappeler que M. Bucklaw nous parle d’un sujet sur lequel vous avez depuis long-temps consenti à l’écouter favorablement. Vous savez combien votre père et moi avons à cœur de voir s’accomplir un mariage aussi sortable. »

Il y avait dans le son de voix de lady Ashton un mélange d’autorité, de rigueur et de sévérité, soigneusement caché sous l’apparence de la tendresse maternelle la plus affectueuse. Le sens apparent de ses paroles était pour Bucklaw, à qui l’on pouvait