Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/291

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plus vindicatif encore, la conduite de Ravenswood, ou plutôt de son patron, lui parut une offense digne d’appeler sur lui la haine de toute sa famille, et elle ne s’occupait que des moyens d’en tirer vengeance. Lucy elle-même, la douce et confiante Lucy, subjuguée par les opinions de tous ceux qui l’entouraient, ne pouvait s’empêcher de considérer la démarche de Ravenswood comme précipitée, et même hostile. « Mon père, » disait-elle en soupirant, « l’a accueilli dans ce château, et a encouragé, ou du moins toléré notre attachement mutuel. N’aurait-il pas dû s’en souvenir ? N’aurait-il pas dû lui prouver sa reconnaissance, en différant, au moins pour quelque temps encore, de faire valoir ce qu’il regarde comme ses droits légitimes ? J’aurais renoncé pour lui au double de la valeur de ces biens dont il poursuit la restitution avec une ardeur qui fait voir qu’il a oublié jusqu’à quel point je suis intéressée dans cette affaire. »

Lucy néanmoins se gardait bien de faire entendre ces plaintes, afin de ne pas augmenter les préventions qu’avaient conçues contre son amant tous ceux dont elle était entourée, et qui se récriaient hautement contre les mesures prises au nom de Ravenswood, les accusant d’être illégales, vexatoires et tyranniques, semblables aux actes les plus arbitraires commis dans les plus mauvais temps des Stuarts. Par une conséquence naturelle, on employa auprès d’elle tous les moyens, tous les raisonnements capables de la déterminer à rompre son engagement avec Edgar, comme scandaleux, honteux et criminel, formé avec l’ennemi mortel de sa famille, et calculé pour ajouter encore à l’amertume du chagrin dont ses parents étaient accablés.

Lucy avait beaucoup de grandeur et de fermeté dans le caractère, et, quoique seule et sans secours, elle aurait pu résister à toutes ces attaques. Elle aurait pu endurer les plaintes de son père, ses murmures contre ce qu’il appelait la conduite tyrannique du parti dominant, ses accusations continuelles d’ingratitude contre Ravenswood, ses dissertations sans fin sur les divers moyens par lesquels les contrats peuvent être considérés comme nuls et non avenus, ses citations des articles du droit civil, du droit municipal et du droit canon, et enfin ses discours sur la puissance paternelle, patria potestas. Elle aurait pu écouter avec patience, ou repousser avec mépris les railleries amères et quelquefois les emportements de son frère, le colonel Ashton, ainsi que les propos impertinents et déplacés d’autres amis et d’autres