Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/329

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du vin, il en but, contre son ordinaire, un grand verre. Voyant qu’Edgar ne voulait rien manger, le vieillard le supplia affectueusement de lui permettre de l’éclairer jusqu’à sa chambre. Ce ne fut qu’après s’être fait répéter trois ou quatre fois cette prière, que Ravenswood fit un signe de consentement, mais sans prononcer une parole. Balderstone l’ayant conduit à un appartement qui avait été convenablement meublé depuis peu, et qu’il occupait d’ordinaire, Ravenswood s’arrêta sur le seuil de la porte.

« Non, » dit-il d’un ton brusque ; « conduisez-moi dans la chambre où mon père mourut ; dans la chambre où elle coucha, la nuit qu’ils passèrent au château. — Qui, monsieur ? » dit Caleb, trop effrayé pour conserver sa présence d’esprit.

« Elle, Lucy Ashton ! Voulez-vous me tuer, imprudent vieillard, en me forçant à prononcer son nom ? »

Caleb aurait voulu faire quelques observations sur l’état de délabrement de la chambre ; mais l’impatience et l’irritation qu’il lisait dans les regards de son maître lui imposèrent silence. Il marcha devant lui, tremblant et sans prononcer une parole, posa la lampe sur la table de la chambre, et se disposait à préparer le lit, lorsque Edgar lui ordonna de se retirer, d’un ton qui n’admettait aucun délai. Le vieillard se retira, non pour prendre du repos, mais pour se mettre en prières. De temps en temps il s’approchait doucement de la porte de la chambre de Ravenswood, pour reconnaître s’il s’était couché ; mais il l’entendait se promener à grands pas, et les profonds gémissements qui accompagnaient le bruit de ses lourdes bottes sur le plancher, donnèrent à Caleb la cruelle certitude que son maître était en proie au plus violent chagrin. Le vieillard, dans son impatience, croyait que le jour n’arriverait jamais. Néanmoins le temps, dont le cours est toujours le même, quoiqu’il paraisse plus rapide ou plus lent aux yeux des mortels, ramena enfin l’aurore, et une rouge lueur se répandit sur la partie de l’Océan qui bordait l’horizon. On était au commencement de novembre, et le temps était beau pour cette saison de l’année ; mais un vent d’est avait soufflé toute la nuit, et la marée, qui montait alors, faisait rouler ses vagues jusqu’au pied des rochers sur lesquels le château était bâti, circonstance qui arrivait rarement.

Dès la pointe du jour, Caleb retourna de nouveau à la porte de la chambre de son maître, et, regardant par une fente, il le vit occupé à mesurer la longueur de deux ou trois épées qu’il avait