Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/439

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d’un ennemi plus fort que ces malheureux gentilshommes que nous avons laissés à Darnlinvarach ne peuvent être. »

Un profond soupir de son épouse, qui semblait lui rappeler quelque circonstance douloureuse, accompagna la fin de sa phrase.

« Celui qui avait donné a repris, » dit le ministre en s’adressant à elle d’une voix solennelle. « Puissiez-vous, honorable dame, long-temps dire : Béni soit son nom ! »

La dame répondit à cette exhortation, qui semblait adressée à elle seule, par une inclination de tête plus basse que toutes celles que le major lui eût encore vu faire. Supposant qu’il la trouverait mieux disposée à lier conversation, il lui adressa la parole.

« Il est très-naturel que Votre Seigneurie soit alarmée quand on parle de préparatifs militaires ; j’ai observé que cela causait de l’effroi aux femmes de toutes les nations et presque de toutes les conditions. Néanmoins Penthésilée dans l’antiquité, Jeanne d’Arc et d’autres à des époques moins éloignées de nous, étaient d’un autre caractère ; et comme je l’ai appris lorsque je servais chez les Espagnols, autrefois le duc d’Albe avait dans son armée une troupe femelle distribuée en tertias, que nous appelons régiments, dirigée et commandée par des chefs féminins, et sous les ordres d’un général en chef nommé en allemand Hureweibler[1], ou, dans la langue de notre pays, le capitaine des prostituées. Il est vrai que ce n’étaient pas des personnes à comparer à Votre Seigneurie : c’étaient des femmes quæ quæstum corporibus faciebant[2], comme nous disions de Jeanne Drochiels au collège Mareschal, femmes qu’on appelle en français courtisanes, et en écossais… — Madame vous dispense d’en dire davantage, » reprit son hôte d’un ton un peu sévère ; et le ministre ajouta qu’un pareil langage devait plutôt être tenu dans un corps-de-garde rempli d’une profane soldatesque qu’à la table d’un homme respectable et devant une dame de qualité.

« Je vous demande pardon, seigneur ou docteur, mit quocumque alio nomine gaudes[3], car il est bon que vous sachiez que j’ai étudié les belles-lettres, » dit l’éhonté ambassadeur en remplissant une grande coupe de vin. « Je ne vois pas qu’il y ait matière

  1. Hure, en allemand, prostituée ; weib, femme. En anglais, whore woman, femme de mauvaise vie. a. m.
  2. Qui trafiquaient de leurs charmes. a. m.
  3. Ou quel que soit le nom qui vous convienne. a. m.