Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/59

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tinua à encourager et à entraîner sa fille ; mais la frayeur de celle-ci lui ôta tout pouvoir de fuir, et elle tomba à côté de lui : alors, ne pouvant plus l’aider à s’échapper, il se retourna et se plaça entre elle et l’animal furieux qui, animé encore par la rapidité de sa course, ne fut bientôt plus qu’à quelques verges d’eux. Le lord Keeper était sans armes ; son âge et sa haute dignité le dispensaient même de celle que l’on portait ordinairement, une épée légère ; mais une pareille arme n’eût pu lui être d’aucune utilité.

Il paraissait donc impossible que le père, ou la fille, ou tous les deux, ne fassent pas victimes du danger qui les menaçait, lorsqu’un coup de feu parti d’un bosquet voisin arrêta l’animal dans sa course. Il avait frappé tellement juste à l’endroit où l’épine se joint au crâne, que la blessure, qui dans toute autre partie du corps eut à peine retardé sa course, lui donna instantanément la mort. Il trébucha en avant, en poussant un mugissement épouvantable ; la force progressive de sa course, plutôt qu’aucune action de sa volonté, le porta jusqu’à environ trois verges du lord Keeper étonné, où il roula à terre ses membres couverts de la noire sueur de la mort, et palpitants des dernières convulsions de leur mouvement musculaire.

Lucy était étendue par terre, privée de sentiment, et ignorant le secours miraculeux qui venait de la sauver. Son père était presque également stupéfait, tant avait été rapide et inattendue en eux la transition de l’effroi d’une mort horrible et qui paraissait inévitable, à une parfaite sécurité. Il regardait l’animal, terrible même dans la mort, avec une sorte d’étonnement muet et confus, qui ne lui permettait pas de comprendre bien distinctement ce qui s’était passé ; il aurait pu penser que le taureau avait été arrêté dans sa course par un coup de foudre, s’il n’eût aperçu à travers les branches du bosquet un homme armé d’un petit fusil ou mousqueton.

Cette vue le rappela sur-le-champ au sentiment de sa situation ; un regard jeté sur sa fille le fit songer à la nécessité de lui procurer du secours. Il appela cet homme, qu’il prit pour un de ses gardes-chasse, lui disant de veiller attentivement sur miss Ashton, pendant qu’il se hâterait d’aller lui-même chercher du secours. En conséquence, le chasseur s’approcha, et le lord Keeper vit que c’était un étranger ; mais il était trop agité pour faire aucune autre remarque. En peu de mots, qu’il prononça à la hâte, il chargea cet homme, comme étant plus fort et plus actif que lui, de porter