Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en or, et son bouclier où se dessinait, pour toute armoirie, un jeune chêne déraciné, laissait lire pour devise, le mot espagnol desdichado, signifiant déshérité. Il montait un superbe cheval noir, et en traversant la lice il salua avec grâce le prince Jean et les dames en baissant le fer de sa lance. L’adresse avec laquelle il gouvernait son cheval, l’air de jeunesse et de courtoisie qu’il montrait, lui gagnèrent la faveur de la multitude ; et quelques groupes des classes inférieures la lui témoignèrent en criant : « Touchez le bouclier de Ralph de Vipont, touchez le bouclier du chevalier hospitalier ; il est le moins ferme en selle, et c’est votre butin le plus sûr. » Le champion, s’avançant au milieu de ces dispositions favorables, monta la plate-forme par l’avenue, en pente douce, qui communiquait avec la lice, et, au grand étonnement des spectateurs, dirigeant son coursier en droite ligne vers le pavillon central, il frappa fortement de la pointe de sa lance le bouclier de Brian de Bois-Guilbert, au point de lui faire rendre un son prolongé. La surprise de tout le monde fut extrême à une semblable présomption ; mais personne ne fut plus étonné que le redoutable templier, en recevant ce défi à mort.

« Vous êtes-vous confessé, mon frère, lui demanda-t-il, et avez-vous entendu la messe ce matin, pour mettre ainsi votre vie en péril ?

— Je suis mieux préparé que toi à mourir, » lui répondit le chevalier déshérité, car c’était le nom que l’inconnu avait adopté en se faisant inscrire sur les registres du tournoi.

— Prenez donc votre place dans la lice, dit Bois-Guilbert, et regardez pour la dernière fois le soleil, car cette nuit même vous dormirez au paradis.

— Grand merci de ta courtoisie, répondit le chevalier déshérité, et pour t’en rendre une autre, je te conseille de prendre un cheval frais et une lance neuve, car, sur mon honneur, tu auras besoin de l’un et de l’autre. »

Après s’être exprimé avec une telle confiance, il fit descendre son cheval à reculons de la plate-forme, et le força à parcourir de la même manière toute la lice jusqu’à l’extrémité septentrionale, où il demeura stationnaire, en attendant son fier antagoniste. Cette habileté d’équitation lui valut de nouveaux applaudissements.

Tout irrité qu’il fût contre son adversaire, qui avait osé lui recommander de prendre ses précautions, Brian de Bois-Guilbert ne les négligea point, car son honneur y était trop intéressé. Il choisit