Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/129

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Le pain d’orge était rôti ; elle avait mis en perce son meilleur baril d’ale brassée dans la maison ; le beurre le plus frais était sur la table, avec un jambon savoureux et un excellent fromage, avant qu’elle s’abandonnât à l’excès de son chagrin. Ce ne fut qu’après avoir arrangé proprement son petit repas sur la table qu’elle s’assit au coin de la cheminée, jeta son tablier à carreaux sur sa tête, et donna un libre cours à ses larmes et à ses sanglots. Il n’y avait là ni grimaces ni affectation. La bonne dame pensait que faire les honneurs de sa maison, particulièrement à un religieux, était un devoir aussi essentiel que tout autre, et tant que ce devoir n’était pas exactement rempli, elle ne se serait pas crue libre de s’abandonner au chagrin d’avoir perdu son amie.

Lorsque le sous-prieur fut descendu, elle se leva pour lui servir ce qu’il pourrait désirer ; mais il refusa toutes les offres de la veuve. Ni le beurre jaune comme de l’or, et le meilleur, assurait-elle, qu’on pût trouver dans tout le patrimoine de Sainte-Marie ; ni les petits gâteaux d’orge que la bienheureuse défunte (Dieu veuille avoir son âme !) trouvait toujours si bons ; ni aucun autre mets délicat que les provisions de la pauvre Elspeth avaient pu fournir, ne purent décider le sous-prieur à rompre son jeûne.

« Aujourd’hui, dit-il, je ne prendrai aucune nourriture avant le coucher du soleil. Heureux si, par cette abstinence, je puis réparer la négligence dont je me suis rendu coupable ! plus heureux encore si cette légère pénitence, à laquelle je me condamne dans la sincérité d’un cœur animé de la foi la plus vive, peut apporter du soulagement à l’âme de la défunte. Néanmoins, dame Elspeth, les soins que je donne aux morts ne doivent pas m’empêcher de penser aux vivants, et me faire oublier que je ne dois point laisser ici ce livre qui est, pour les ignorants, ce que fut pour nos premiers pères, l’arbre de la science du bien et du mal ; excellent en lui-même, mais fatal à ceux qui le lisent malgré la défense de l’Église. »

— Oh ! ce sera bien volontiers que je vous remettrai le livre, mon révérend père, s’écria Elspeth, pourvu que je trouve le moyen de le dérober aux enfants : à dire vrai, les pauvres petits sont maintenant dans une telle affliction que vous leur arracheriez le cœur sans qu’ils s’en aperçussent.

— Donnez-leur ce missel à la place, bonne dame, » dit le père en tirant de sa poche un livre orné de figures enluminées, et je viendrai moi-même, ou j’enverrai quelqu’un en temps convenable pour leur expliquer ces emblèmes.