Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/206

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obligé de s’en remettre à la foi d’un coquin mercenaire ; je ne puis même avoir le temps de rêver à mon malheur, mais il faut que je vienne gai et sémillant, faire de belles phrases pour plaire à un fantôme pâle et sans vie, parce qu’elle sort de haute famille ! Sur mon honneur, préjugé à part, la petite meunière a bien plus d’attraits. Mais patience, Piercy Shafton, tu ne dois pas abandonner la prétention si désirée d’être considéré comme un serviteur dévoué du beau sexe, un courtisan vif, spirituel, et en un mot parfait. Remercie plutôt le ciel, Piercy Shafton, qui t’a envoyé un sujet dans lequel, sans déroger à ton rang (puisqu’on ne peut disputer l’ancienne noblesse de la famille d’Avenel), tu peux trouver une pierre à aiguiser pour tes fins compliments, une meule pour affiler tes subtils artifices, et un but pour lancer les flèches de ta galanterie. Car ainsi qu’une lame de Bilbao, qui plus elle est frottée, plus elle devient brillante et affilée, tel… Mais qu’ai-je besoin de prodiguer mon trésor de similitudes en m’entretenant avec moi-même ? Oh, oh ! voici le cortège monacal qui, comme une volée de corbeaux, se dirige lourdement de ce côté ; j’espère qu’ils n’ont pas oublié mes malles de vêtements parmi les amples provisions qu’ils ont faites pour leur table. Miséricorde ! je serais terriblement malheureux si ma garde-robe était tombée au pouvoir de ces brigands de maraudeurs ! »

Agité par cette pensée, il courut en bas de l’escalier, et demanda son cheval, afin qu’il pût le plus tôt possible vérifier ce point important, en allant au-devant de l’abbé et du cortège qui s’avançait dans la vallée. Il n’avait pas fait un mille qu’il les rencontra marchant avec la lenteur et le décorum qui conviennent aux personnes de leur dignité et de leur profession. Le chevalier ne manqua pas de saluer le seigneur abbé avec les compliments contournés dont les hommes de son rang avaient soin de se servir à cette époque. Il fut assez heureux pour trouver que ses malles étaient parmi les nombreux bagages qui suivaient, et satisfait de cette particularité, il détourna la tête de son cheval, et accompagna l’abbé à la tour de Glendearg.

Durant ce temps, bien grand avait été l’embarras de la bonne dame Elspeth et de ceux qui l’aidaient à préparer une réception convenable au seigneur abbé et à sa suite. Il est vrai que les moines n’avaient pas trop compté sur l’excellence de sa cuisine ; mais elle n’en avait pas moins le plus grand désir d’ajouter beaucoup de choses aux provisions envoyées, afin de mériter les