Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/208

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mère, son cœur battant fortement aussi, et sa philosophie ne pouvait lui dire pourquoi. Il ne savait pas combien de temps doit s’écouler avant que notre raison nous apprenne à voir froidement un extérieur imposant, et combien l’admiration est excitée par la nouveauté et affaiblie par l’habitude.

Il regardait avec un étonnement mêlé de crainte l’approche d’environ dix cavaliers, hommes paisibles, montés sur de dociles palefrois, cachés sous de longs vêtements noirs, qui n’étaient relevés que par leurs blancs scapulaires ; ils semblaient plutôt former une procession funèbre que toute autre chose, et ne permettaient pas à leur marche plus de vitesse qu’il n’en faut pour une conversation aisée ou pour une facile digestion. La monotonie de ce spectacle était, il est vrai, tant soit peu animée par la présence de sir Piercy Shafton, qui, pour montrer que son savoir en équitation n’était pas inférieur à ses autres talents, poussait et arrêtait alternativement son pétulant coursier, le forçant à piétiner, ou à caracoler, ou à s’élancer, ou enfin à faire tous les exercices de l’école, au grand déplaisir du seigneur abbé, dont le cheval perdit bientôt sa tranquillité accoutumée, excité par la vivacité de son compagnon, tandis que le dignitaire s’écriait tout alarmé : « Je vous en prie, sir chevalier… Bien, maintenant ; sir Piercy, tenez-vous tranquille. Bénédict ! voilà un bon cheval… Holà, holà ! tout doux ! » et toutes les autres exclamations flatteuses et caressantes qu’un timide cavalier emploie pour retenir un compagnon trop vif, ou même son propre cheval. Il termina ce chapelet par un sincère Deo gratias en mettant pied à terre dans la cour de Glendearg.

Les habitants s’agenouillèrent tous spontanément et baisèrent la main du seigneur abbé, cérémonie à laquelle les moines eux-mêmes étaient souvent forcés. Le bon abbé Boniface avait été trop occupé par la dernière partie de son voyage, pour accompagner cette cérémonie d’une grande solennité, et même pour n’en pas ressentir un peu d’impatience. D’une main il s’essuyait le front avec un mouchoir aussi blanc que la neige, tandis qu’il abandonnait l’autre à l’hommage de ses vassaux ; puis formant un signe de croix avec son bras étendu, il s’écria : « Je vous bénis, je vous bénis, mes enfants ! » il entra ensuite promptement dans la maison, et ne murmura pas peu de l’obscurité et de la raideur de l’escalier, par lequel il parvint enfin à la salle destinée à le recevoir, et accablé de fatigue, il se jeta, je ne dirai pas sur un siège commode, mais sur le meilleur de l’appartement.