Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/236

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nourriture que la rigueur du sort lui présente. » Je vous accorde à tous une dispense pour manger de la chair aujourd’hui, à condition, mes frères, que vous direz le Confiteor lorsqu’on sonnera le couvre-feu, que le chevalier fera une aumône, et que chacun de vous s’abstiendra de chair un des jours du mois prochain, que vous choisirez vous-mêmes ; c’est pourquoi, mettez-vous à table, et prenez votre repas avec gaieté ; et vous, frère sommelier, da mixtus ![1] »

Tandis que l’abbé réglait ainsi les conditions de son indulgence, il avait déjà fait disparaître une tranche de la délicate venaison, qu’il arrosa d’un flacon de vin du Rhin, modestement tempéré d’un peu d’eau.

« On a raison de dire, » observa-t-il en demandant une nouvelle tranche au sommelier, « que la vertu trouve toujours sa récompense en elle-même. Car, bien que ce soit un médiocre repas préparée la hâte et pris dans une misérable chambre, je ne me rappelle pas avoir eu un tel appétit depuis le temps ou j’étais frère dans l’abbaye de Dundrennam, où j’étais accoutumé à travailler au jardin depuis le matin jusqu’à nones, instant où notre abbé frappait le cymbalum[2] : alors j’entrais pressé par la faim, poussé par la soif, da mihi vinum, quœso, et merum sit[3], et avec un bon appétit je prenais ma part de ce qui était placé devant moi, selon notre règle. Les jours de fête et ceux de jeûne, caritas ou pœnitentia[4], étaient les mêmes pour moi. Je n’avais pas alors ces maux d’estomac qui m’obligent à recourir au vin réconfortant et à une cuisine choisie, pour rendre les aliments agréables au palais et faciles à la digestion.

— Il pourrait arriver, saint père, dit le sous-prieur, qu’une promenade à cheval, faite de temps à autre à l’extrémité du patrimoine de Sainte-Marie, eût pour votre santé le même heureux effet que l’air du jardin de Dundrennam.

— Peut-être avec la protection de notre patronne, de telles promenades pourront nous réussir, répondit l’abbé, en ayant soin que notre venaison soit tuée avec précaution par quelque garde-chasse qui connaisse bien son métier.

— Si le seigneur abbé me permettait, dit à son tour le frère

  1. En latin barbare, donnez du vin trempé. a. m.
  2. Encore un mot latin de l’abbé, pour désigner une cloche. a. m.
  3. Donne-moi du vin, je te prie, et qu’il soit pur. a. m.
  4. Plaisance ou pénitence. a. m.