Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/256

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deux côtés l’injure était mortelle, et il n’y avait qu’un combat à outrance qui pût l’effacer.

Au repas du soir, la famille se rassembla, et sir Piercy Shafton prodigua plus que jamais les grâces de sa conversation aux personnes qu’il en avait jusqu’alors trouvées plus dignes. La plus grande partie de son attention s’attacha, comme on peut bien le penser, à la divine et inimitable Discrétion, ainsi qu’il aimait à surnommer Marie Avenel ; mais néanmoins il entremêlait son discours de fleurettes adressées à la fille du moulin sous le titre de belle Damoiselle, et de quelques compliments à Elspeth, sous celui de digne Matrone. De crainte que les charmes de sa rhétorique ne fussent insuffisants pour captiver l’admiration, il y ajouta généreusement et sans qu’on l’en priât la mélodie de sa voix ; après avoir témoigné la peine qu’il éprouvait d’être privé de son violon appelé viole-de-gamba[1], il les régala d’une chanson que, dit-il, l’inimitable Astrophel, que les mortels appellent Philippe Sidney, avait composée pendant l’enfance de sa muse, afin que le monde prévît ce qu’il aurait à espérer lorsqu’elle serait dans un âge plus avancé. « Ces vers, ajouta le chevalier, devaient un jour voir la lumière dans cet incomparable ouvrage de l’esprit humain, qu’il a dédié à sa sœur, la sans pareille Parthénope, que les humains nomment la comtesse de Pembroke ; ouvrage dont son amitié m’a permis de goûter parfois l’harmonie, tout indigne que j’en suis ; et je puis dire que cette mélancolique histoire est tellement relevée par de brillantes comparaisons, de suaves descriptions, d’aimables vers et de gracieux intermèdes, qu’on dirait les étoiles du firmament éclairant la robe sombre de la Nuit. Or, quoique je sache que ce charmant et délicieux langage souffrira de l’isolement de ma voix, veuve de son bien aimé violon de gamba, je vais tâcher cependant de vous donner une idée de l’enchanteresse douceur de la poésie de l’inimitable Astrophel. »

Ayant ainsi parlé, il chanta hardiment et sans interruption environ cinq cents vers, dont les quatre premiers et les derniers peuvent servir d’échantillon :

« Quelle langue peut nous dire
Ses hautes perfections ?
Quand sur chacune la lyre
Pourrait épuiser ses tons.
. . . . . . . . . . . . .

  1. La viole-de-gamba est probablement le violoncelle. a. m.