Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/134

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ferrés avec tant de force le pavé de l’église, que leurs énergiques cabrioles en faisaient sortir des étincelles.

C’était enfin une scène de tumulte ridicule, qui assourdissait l’oreille, fatiguait les yeux, et eût étourdi tout spectateur indifférent. Cependant les moines avaient en outre quelque crainte pour leur sûreté personnelle et au moins une intime conviction que la plupart de ces amusements populaires avaient pour but de les tourner en ridicule : ils étaient peu rassurés en réfléchissant que, hardis sous leurs déguisements, les masques qui hurlaient et cabriolaient autour d’eux pouvaient, à la moindre provocation, changer leur badinage en réalité, ou du moins en venir à ces actes d’une joie grossière qu’on doit toujours craindre de la part d’une multitude animée par une gaité malfaisante. Au milieu du tumulte ils contemplaient leur abbé, comme des passagers fixent sur le pilote, au plus fort de la tempête, des regards qui expriment l’absence de tout espoir dans leurs propres efforts et peu de confiance en l’habileté de leur Palinure.

L’abbé lui-même semblait stupéfait, non pas qu’il eût peur, mais il sentait combien il était dangereux de laisser éclater son indignation ; et pourtant il pouvait à peine maîtriser ce sentiment qui croissait à chaque instant en lui-même. Il fit un geste de la main pour commander le silence, mais on ne lui répondit d’abord que par des clameurs encore plus violentes et par d’insultants éclats de rire. Au contraire, quand Howleglas eut fait le même geste en imitant l’abbé autant que possible, il fut obéi aussitôt par ses bruyants camarades ; car ils espéraient qu’une conversation entre le faux et le véritable abbé allait leur fournir un nouveau sujet de divertissement : tant ils avaient une haute idée de l’esprit grossier et de l’impudence de leur chef ! Ils se mirent donc à crier : « Allons, révérends pères, allons, en avant, commencez !… En avant, les moines ! en avant !… Abbé contre abbé, c’est ce qu’il faut ; c’est raison contre déraison, et malice contre moinerie !

— Silence, camarades ! dit Howleglas ; deux savants pères de l’Église ne peuvent-ils conférer ensemble sans que vous veniez ici avec des cris et des exclamations semblables à celles du Jardin aux ours[1], comme si vous vouliez exciter un mâtin contre un taureau enragé ! Silence, vous dis-je, et laissez-nous, ce savant

  1. Lieu où se donnaient les combats d’animaux à Édimbourg comme à Londres. Voyez Nigel.