Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/137

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— Quelques bonnes femmes des domaines de Sainte-Marie avaient coutume de parler ainsi, » répliqua l’abbé de la Déraison ; mais cette plaisanterie n’obtint à ce moment que peu d’applaudissements, et le père Ambroise, ayant conquis un instant l’attention, se hâta d’en profiter.

« Eh quoi ! continua-t-il, est-ce vous montrer reconnaissants, est-ce vous montrer honnêtes seulement, que d’attaquer et d’outrager quelques vieillards aux prédécesseurs desquels vous devez tout, dont le seul désir est de mourir en paix parmi les ruines de ce qui fut jadis la lumière du pays, et qui, dans leurs prières de chaque jour, demandent d’être rappelés de ce monde avant que la dernière étincelle soit éteinte, avant que le pays soit abandonné aux ténèbres qu’il préfère à cette lumière divine ? Nous n’avons pas tourné contre vous la pointe du glaive spirituel, pour venger nos persécutions temporelles. La tempête de votre colère nous a dépouillés de nos biens et presque privés de notre nourriture journalière ; mais nous n’avons point pour vous punir lancé les foudres de l’excommunication. Nous vous prions d’une seule chose, c’est de ne plus nous troubler par des bouffonneries grossières et d’insultants blasphèmes, c’est de nous laisser vivre et mourir dans l’église qui est à nous, en demandant à Dieu notre Seigneur, à la Vierge Marie et à tous les bienheureux, qu’ils daignent pardonner vos péchés et les nôtres. »

Ce discours, si différent et pour le ton et pour la conclusion de celui auquel la foule s’attendait, produisit sur les esprits un effet peu favorable à la continuation des folies projetées. Les danseurs grotesques restèrent immobiles, le cheval de bois cessa ses cabrioles, la flûte et le tambour demeurèrent muets, et le silence, comme un nuage pesant, sembla descendre sur la foule naguère bruyante. Plusieurs bêtes même parurent sensiblement émues ; l’ours ne pouvait retenir ses sanglots, et un grand renard-loup fut vu essuyant ses yeux avec sa queue. Mais surtout le dragon, ce reptile naguère si formidable, cessa de menacer de ses terribles griffes, de rouler les anneaux de son corps monstrueux, et laissa échapper ces mots de sa gueule affreuse, sur un ton de componction : « Par la messe ! je ne pensais pas mal faire en nous livrant à notre ancien passe-temps ; si j’avais cru que le bon père dut prendre cela si fort à cœur, j’aurais fait le diable, plutôt que de jouer ici le dragon. »

Dans ce moment de calme, l’abbé parut, au milieu de la foule