Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se trouva forcé d’entendre leur conversation plus qu’il ne s’en serait soucié. Tout page qu’il était, une curiosité déplacée pour les secrets d’autrui n’avait jamais été comptée au nombre de ses défauts : de plus, bien qu’il eût naturellement de l’audace, il pensait qu’il n’y avait pas de sûreté à entendre l’entretien secret de deux hommes puissants et redoutés. Cependant il ne pouvait ni se boucher les oreilles, ni quitter convenablement l’appartement ; et tandis qu’il songeait au moyen à employer pour faire remarquer sa présence, il avait déjà entendu tant de choses, que se montrer tout à coup eût été aussi maladroit, et peut-être aussi dangereux que d’attendre tranquillement la fin de la conférence. Ce qui était parvenu à ses oreilles n’était cependant qu’une partie incomplète de leur conversation ; et quoiqu’un politique plus habile et mieux informé des événements du temps eût eu peu de peine à en découvrir le sens, cependant Roland ne put faire que des conjectures générales et fort vagues sur le sujet et la portée des discours des deux interlocuteurs.

« Tout est préparé, dit Murray, et Lindsay va partir ; il ne faut pas qu’elle hésite plus long-temps. Vous voyez que j’agis d’après vos conseils, et que je m’endurcis contre toute autre considération.

— Il est vrai, milord, répliqua Morton ; quand il s’agit de gagner du pouvoir, vous n’hésitez pas et vous marchez hardiment au but. Mais êtes-vous aussi jaloux de défendre ce que vous avez gagné ? Pourquoi cette légion de domestiques autour d’elle ? Votre mère n’a-t-elle pas assez d’hommes et de femmes pour la servir, sans qu’il vous faille souffrir cette suite inutile et dangereuse ?

— Fi ! Morton, fi ! une princesse ! ma sœur ! puis-je faire moins que de lui accorder les égards qui lui sont dus ?

— Oui, c’est ainsi que partent toutes vos flèches : elles sont décochées avec force, dirigées avec adresse ; mais toujours un souffle de folle affection les rencontre en chemin, et les détourne de leur but.

« — Ne parlez pas ainsi, Morton, j’ai à la fois osé et exécuté…

— Oui, assez pour conquérir, mais pas assez pour conserver. Ne croyez pas qu’elle pense et qu’elle agisse de même. Vous l’avez profondément blessée dans son orgueil et dans sa puissance. C’est en vain que vous tenteriez maintenant de verser quelque baume sur sa blessure, vos efforts seraient inutiles. Au point où en sont vos affaires, il faut perdre le titre de frère affectionné pour prendre celui d’homme d’état hardi et résolu.