Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/203

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Le sage Adam Woodcock, qui se divertissait des observations du page tout en affectant de les mépriser, désira enfin de donner encore carrière à la langue de son jeune compagnon. Il aimait assez à jouir de sa supériorité en montrant combien lui étaient familières toutes les circonstances qui excitaient l’étonnement du jeune homme.

« Eh bien donc ! dit-il enfin, qu’est-ce que vous voyez, monsieur Roland, qui vous fait devenir muet tout à coup ? »

Roland ne répondit rien.

« Je vous dis, monsieur Roland Græme, que dans mon pays il est de la politesse de répondre quand on vous parle. »

Roland garda encore le silence.

« Ce garçon a le diable au corps ! s’écria le fauconnier ; je crois qu’il a perdu les yeux à force de voir et la langue à force de parler. »

Vidant à la hâte son gobelet, il s’approcha de Roland qui se tenait immobile comme une statue, les yeux avidement attachés sur la cour, quoiqu’il fût impossible à Woodcock de découvrir, au milieu de la scène joyeuse qu’elle présentait, rien qui méritât une attention aussi soutenue.

« Notre jeune homme est ensorcelé ! » dit le fauconnier en lui-même.

Mais Roland avait de bonnes raisons pour être surpris, bien qu’elles ne fussent pas de nature à être communiquées à son compagnon.

Les sons de l’instrument du vieux musicien avaient attiré de la rue de nombreux auditeurs, lorsqu’entra par la porte de la cour un personnage qui attira exclusivement l’attention de Roland. Il était du même âge que lui, ou un peu plus jeune. Son costume et sa tournure annonçaient le même rang et la même profession, car il avait tout l’air d’impertinence et de malice qui convient à un page ; sa taille était élégante, quoique trop délicate et peu élevée, et il portait un habillement élégant caché en partie sous un grand manteau de pourpre. En entrant il jeta un coup d’œil vers les croisées, et, à son extrême étonnement, sous sa toque de velours pourpre armée d’une plume blanche, Roland reconnut des traits profondément gravés dans sa mémoire ; cette chevelure riche et brillante, ces yeux bleus et animés, ces sourcils bien arqués, ce nez qui tendait légèrement vers la forme aquiline, ces lèvres de rubis, dont un demi-sourire malin paraissait l’expression habi-