Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/168

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che avec les autres drogues. Il en demanda ensuite le prix au juif, qui répondit en baissant humblement la tête :

« Rien, rien du tout pour un homme comme vous : mais vous reviendrez voir le pauvre juif, vous visiterez son laboratoire, où, Dieu lui soit en aide ! il s’est desséché comme la gourde du saint prophète Jonas. Vous aurez pitié de lui et vous lui ferez faire un pas dans la voie qui mène au grand œuvre.

— Chut ! » dit Wayland en posant mystérieusement un doigt sur sa bouche ; « il pourra se faire que nous nous revoyions : tu as déjà le schah-magm, comme tes rabbins l’appellent… la création générale ; veille donc et prie, car tu dois arriver à la connaissance de l’élixir d’Alchahest Samech, avant que je puisse communiquer de nouveau avec toi. » Alors, répondant par un léger signe de tête aux salutations révérencieuses du juif, il sortit gravement de la rue, suivi de son maître, de qui la première observation sur la scène dont il venait d’être témoin fut que Wayland aurait dû payer à cet homme sa drogue, quelle qu’elle fût.

« Moi, le payer ! s’écria l’artiste ; que le diable me paie moi-même, si j’en fais rien ! Si ce n’eût été la crainte de déplaire à Votre Honneur, j’aurais tiré de lui une once ou deux d’or, en échange d’une pareille quantité de poussière de brique.

— Je vous conseille de vous abstenir de pareilles friponneries, tant que vous serez à mon service, dit Tressilian.

— Ne viens-je pas de vous dire que c’était pour cette seule raison que je ne l’ai pas fait ?… Friponnerie, dites-vous ? bah ! ce squelette ambulant est assez riche pour paver de dollars la rue qu’il habite sans qu’il y paraisse, pour ainsi dire, à son coffre-fort. Il n’en court pas moins comme un fou après la pierre philosophale. D’ailleurs n’a-t-il pas voulu, parce qu’il me prenait pour un pauvre domestique, me vendre bien cher une drogue qui ne valait pas un sou ? Fin contre fin, dit le diable au charbonnier[1] ; si son prétendu médicament valait mes bonnes couronnes, ma poussière de brique vaut son bon or.

— Cela peut être bon pour les affaires entre juifs et apothicaires, dit Tressilian ; mais apprends que de pareils tours de passe-passe de la part d’un homme qui est à mon service porteraient atteinte à mon honneur, et que je ne les souffrirai pas. Je suppose que tu as fini tes achats.

— Oui, monsieur, et avec ces drogues je vais composer le véri-

  1. Dans une vieille farce anglaise intitulée le Charbonnier de Croydon. a. m.