Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/188

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— Milord, » dit la reine en l’interrompant, « nous venons de vous dire que nous avons oublié notre hébreu. Mais toi, jeune homme, dis-nous quel est ton nom et ta naissance.

— Raleigh est mon nom, très gracieuse princesse ; je suis le plus jeune enfant d’une nombreuse mais honorable famille du Devonshire.

— Raleigh ! » dit Élisabeth après un moment de réflexion, « n’avons-nous pas entendu parler de vos services en Irlande ?

— J’ai été assez heureux, madame, pour servir en ce pays ; mais je n’y ai rien fait qui méritât d’arriver aux oreilles de Votre Majesté.

— Elles entendent plus de choses que vous ne croyez, » dit la reine avec beaucoup de grâce, « et elles ont entendu parler d’un jeune homme qui, dans le Shannon, défendit un gué contre une troupe d’Irlandais révoltés, et qui rougit les eaux du fleuve de leur sang et du sien.

— Il est possible que j’aie perdu un peu de sang, » dit le jeune homme en baissant les yeux, « mais je devais tout sacrifier dans cette circonstance, puisque c’était pour le service de Votre Majesté. »

La reine, après un moment de silence, reprit vivement : « Vous êtes bien jeune pour avoir si bien combattu et pour parler si bien ; mais vous ne devez pas échapper à votre punition pour avoir forcé Masters à rebrousser chemin. Le pauvre homme a pris du froid sur la Tamise ; car notre ordre lui est parvenu au moment où il revenait de faire quelques visites à Londres, et il s’est fait un devoir et une affaire de conscience de se remettre en route sur-le-champ. Ainsi donc, écoute bien, maître Raleigh, ne manque pas de porter ton manteau crotté en signe de pénitence, jusqu’à ce que nous en ordonnions autrement. Et voici, » ajouta-t-elle en lui donnant un bijou d’or en forme de pion d’échecs, « ce que je te donne pour le porter à ton cou. »

Walter Raleigh, qui tenait en quelque sorte de la nature ces manières de cour que tant de gens ont peine à acquérir après une longue expérience, s’agenouilla, et en prenant le bijou de la main de la reine, baisa les doigts qui le lui présentaient. Il savait peut-être mieux qu’aucun des courtisans qui l’entouraient jusqu’à quel point il convenait de mêler le respect dû à la reine à la galanterie due à la beauté de sa personne ; et dans ce premier essai pour les concilier, il réussit si bien qu’il satisfit en même temps la vanité d’Élisabeth et son amour de la domination.