Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/300

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un homme de chaque côté. D’ailleurs, ce drôle se tient à cheval plutôt comme un singe que comme un cavalier. Bah ! en mettant les choses au pis, il sera facile de le désarçonner. Mais, Dieu me pardonne, son cheval va s’en charger, car le voilà qui a pris le mors aux dents. « Que je suis bon de m’inquiéter de lui ! » dit-il lorsque ce menaçant adversaire fut arrivé plus près de lui, « ce n’est après tout que ce petit animal de mercier d’Abingdon. »

L’œil expérimenté de Wayland ne l’avait pas trompé, malgré la distance. En effet, le cheval naturellement fort ardent du vaillant mercier se sentant éperonné et apercevant les chevaux de nos voyageurs qui couraient à quelques centaines de verges devant lui, partit avec une telle vitesse qu’il dérangea tout-à-fait l’équilibre de son cavalier, qui non seulement atteignit, mais même passa ceux qu’il poursuivait, quoiqu’il tirât la bride de toutes ses forces et criât à tue-tête : « Arrête ! arrête ! « exclamation qui semblait s’adresser plutôt à sa propre monture qu’à ce que les marins appellent le chassé. Ce fut avec la même vitesse involontaire qu’il dériva (pour nous servir encore d’un terme nautique) d’environ un quart de mille, avant qu’il pût arrêter et faire tourner son cheval. Alors il rebroussa chemin du côté de nos voyageurs, réparant de son mieux le désordre de sa toilette, se remettant en selle, et s’efforçant de remplacer par un air martial et décidé la confusion et l’effroi qui avaient bouleversé son visage pendant sa course forcée.


Wayland eut le temps de recommander à la comtesse de ne point s’alarmer ; il ajouta : « Ce drôle est un sot s’il en fut jamais, et je vais le traiter comme tel. »

Quand le mercier eut repris haleine et retrouvé assez de courage pour les aborder, il ordonna à Wayland, d’un ton menaçant, de lui remettre son cheval.

« Comment, « dit le maréchal avec la fierté du roi Cambyse[1], « on nous commande de nous arrêter et de remettre notre bien sur le grand chemin du roi ! Eh bien donc ! hors du fourreau, Excalibar[2], et apprends à ce preux chevalier que les armes doivent décider entre nous.

— Haro ! au secours ! sus au brigand ! à moi, tout honnête homme ! on m’empêche de reprendre ce qui est à moi.

— Tu invoques tes dieux en vain, vil mécréant, car j’en viendrai à mes fins, dût-il m’en coûter la vie. Cependant, sache, traî-

  1. On dirait chez nous : Fier comme Artaban. a. m.
  2. Nom de l’épée d’Arthur. a. m.