Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/335

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ter, » mots qui s’étaient naturellement présentés à son esprit. C’eût été trahir le secret duquel son mari lui avait assuré que dépendait sa fortune, le dévoiler à Tressilian, à Sussex, à la reine et à toute la cour réunie. « Jamais, pensa-t-elle, je ne romprai le silence que j’ai promis ; j’aime mieux m’exposer à toute espèce de soupçons. »

En ce moment des larmes coulèrent de ses yeux, et Tressilian, tout en fixant sur elle un regard où la douleur se mêlait à la compassion, s’écria : « Hélas ! Amy, vos yeux démentent votre bouche. Celle-ci me parle d’un protecteur disposé à veiller sur vous ; mais celles-là me disent que vous êtes abusée et abandonnée par le misérable auquel vous vous êtes attachée. »

Elle le regarda avec des yeux où la colère étincelait à travers les larmes, mais elle se contenta de répéter, avec une emphase méprisante, ces mots : « Le misérable ! »

— Oui, le misérable ! dit Tressilian ; car s’il était quelque chose de mieux, pourquoi seriez-vous ici, seule dans mon appartement ? Pourquoi n’a-t-on pas pris des mesures convenables pour vous recevoir honorablement ?

— Dans votre appartement ! répéta la comtesse ; dans votre appartement ! Il sera à l’instant même délivré de ma présence. » Elle courut précipitamment vers la porte, mais le souvenir de l’abandon où elle se trouvait se présenta en même temps à sa pensée, et s’arrêtant sur le seuil, elle ajouta, du ton le plus pathétique : « Hélas ! je l’avais oublié… je ne sais où aller.

— Je le vois, je vois tout, » s’écria Tressilian en s’élançant après elle, et en la reconduisant vers son siège, où elle se laissa tomber. « Vous avez besoin de secours, vous avez besoin de protection, bien que vous ne vouliez point l’avouer ; ce ne sera pas en vain que vous l’aurez laissé voir. Appuyée sur mon bras, sur le bras du représentant de votre excellent et malheureux père, vous vous présenterez à Élisabeth, sur le seuil même de la porte de ce château ; et le premier acte qui signalera son entrée dans les murs de Kenilworth sera un acte de justice envers son sexe et envers ses sujets. Fort de ma cause et de la justice de la reine, la présence de son favori n’ébranlera pas ma résolution. Je vais à l’instant même chercher Sussex.

— Pour tout au monde n’en faites rien ! » s’écria la comtesse alarmée au dernier point et sentant la nécessité de gagner du temps, ne fût-ce que pour réfléchir. « Tressilian, vous êtes généreux d’ordinaire, accordez-moi une grâce, et croyez que si vous voulez me