Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/420

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et moi à un malheur et à des remords éternels ! Ne me parle pas de pardon, Varney ; sa sentence est prononcée. »

En parlant ainsi il quitta la chambre et s’élança dans un cabinet voisin, dont il ferma la porte sur lui au verrou.

Varney resta les yeux fixés du côté de cette porte, et un sentiment un peu plus humain que de coutume semblait lutter avec son égoïsme ordinaire. « Je suis peiné de sa faiblesse, dit-il, mais l’amour en a fait un enfant. Il jette et foule aux pieds ces bijoux précieux, et voudrait mettre en pièces avec la même fureur le bijou, le plus fragile de tous, qui causait son délire il y a quelques instants. Mais ce goût présent disparaîtra comme tout autre quand l’objet qui l’a fait naître ne sera plus. Il ne sait pas apprécier les choses à leur valeur, et c’est une faculté que la nature a donnée à Varney. Quand Leicester sera devenu souverain, il ne pensera pas plus à ces orages de la passion, au milieu desquels il sera parvenu au trône, qu’un marin ne pense aux périls du voyage lorsqu’il a jeté l’ancre. Mais ces bijoux délateurs ne doivent pas rester ici, ce sont de trop riches profits pour les domestiques de la chambre. »

Pendant que Varney s’occupait à recueillir les bijoux et à les mettre dans un tiroir secret d’une armoire qui se trouva ouverte, il vit la porte du cabinet où était Leicester s’ouvrir, la tapisserie s’en écarter, et le comte avancer la tête et montrer des yeux si mourants, un visage et des lèvres si décolorés, que ce changement soudain le fit tressaillir. Les regards du comte n’eurent pas plus tôt rencontré les siens que ce dernier retira la tête et ferma la porte du cabinet. Leicester se présenta ainsi deux fois sans dire un mot, de manière que Varney commença à craindre que la douleur ne lui eût troublé l’esprit. La troisième fois, cependant, il fit un signe, et Varney, obéissant à ce signal, s’aperçut bientôt que l’agitation de son maître n’était pas causée par la folie, mais par le cruel dessein qu’il méditait, et que combattaient plusieurs passions contradictoires. Ils passèrent une grande heure en consultation secrète, après quoi le comte, faisant sur lui-même un incroyable effort, s’habilla pour aller faire les honneurs du château à sa souveraine.