Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/458

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t-elle ; tu connaissais cette affaire, tu la savais, n’est-il pas vrai ?

— J’ignorais, gracieuse souveraine, que cette pauvre dame fût comtesse de Leicester.

— Et personne ne la reconnaîtra jamais pour telle, dit la reine. Mort de ma vie ! comtesse de Leicester ! nommez-la dame Amy Dudley, et elle pourra s’estimer heureuse si elle n’a pas lieu de signer veuve du traître Dudley. »

« Madame, dit Leicester, faites de moi selon votre bon plaisir, mais n’outragez pas ce gentilhomme, il ne l’a aucunement mérité.

— Et crois-tu qu’il puisse devoir quelque chose à ton intercession ? » dit la reine en quittant Tressilian, qui se releva peu à peu, et s’élançant vers Leicester qui continua à rester à genoux. « À quoi peut lui servir ton intercession, double traître, double parjure ? ton intercession, quand ta scélératesse m’a rendue ridicule aux yeux de mes sujets et odieuse à moi-même ! Je serais capable de m’arracher les yeux pour les punir de leur aveuglement. »

Ici Burleigh se hasarda à intervenir.

« Madame, dit-il, rappelez-vous que vous êtes reine, reine d’Angleterre, et la mère de votre peuple. Ne vous abandonnez pas ainsi à la fougue impétueuse de votre ressentiment. »

Élisabeth se tourna vers lui, et tandis qu’une larme brillait encore dans ses yeux pleins d’orgueil et de colère : « Burleigh, dit-elle, tu es un homme d’état, tu ne saurais comprendre la somme de mépris, de douleur, que cet homme a versée sur moi. »

Avec les ménagements les plus délicats, le respect le plus profond, Burleigh la prit par la main au moment où il vit que son cœur gonflé de chagrin et d’indignation ne pouvait plus se contenir, et, la conduisant dans l’embrasure d’une croisée :

« Madame, lui dit-il, je suis un homme d’état, il est vrai, mais je suis homme aussi, et un homme vieilli dans vos conseils, qui ne désire et ne peut désirer sur la terre que votre gloire et votre bonheur. Je vous en conjure, calmez-vous.

Ah ! Burleigh ! dit Élisabeth, tu ne sais guère…

— Pardonnez moi, je sais tout, ma très honorée souveraine ; mais, prenez-y garde, prenez garde de faire deviner aux autres ce qu’ils ne soupçonnent pas.

— Ah ! » dit Élisabeth, réfléchissant comme si un nouvel enchaînement de pensées s’était tout-à-coup présenté à son esprit, « Burleigh, tu as raison : tout, excepté la honte ; tout, excepté l’aveu d’une faiblesse ; tout, plutôt que de me montrer dupée, méprisée…