Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/66

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étrangement dans cette affaire… Elle vous a reçu très froidement ce matin, et je crois qu’elle vous regarde ainsi que moi de fort mauvais œil.

— Vous vous trompez sur son compte, Foster, vous vous trompez complètement : elle tient à moi par tous les liens qui peuvent l’attacher à l’homme qui lui a procuré les moyens de satisfaire son amour et son ambition ; qui a choisi l’obscure Amy Robsart, la fille d’un gentilhomme ruiné, d’un vieux radoteur, la fiancée d’un lunatique, d’un fol enthousiaste comme cet Edmond Tressilian ; qui l’a tirée, dis-je, de si basse condition pour lui offrir la perspective de la plus belle fortune de l’Angleterre et peut-être de l’Europe. Eh bien ! c’est moi, et c’est moi encore qui, ainsi que je te l’ai dit souvent, ai ménagé ses entrevues secrètes avec son amant ; c’est moi qui veillais dans le bois tandis qu’elle y chassait le daim ; c’est moi qui aujourd’hui suis accusé par ses parents d’être le compagnon de sa fuite ; de sorte que si j’étais dans leur voisinage, il me faudrait porter sur la peau une chemise d’étoffe plus solide que la toile de Hollande, de peur que mes côtes ne fissent connaissance avec l’acier d’Espagne. Qui portait leurs lettres ? moi. Qui amusait le vieux chevalier et Tressilian ? moi. Qui a préparé leur fuite ? moi. En un mot, c’est moi qui ai tiré cette jolie petite marguerite du champ obscur où elle végétait, et l’ai placée sur le plus haut bonnet de l’Angleterre.

— Fort bien, monsieur Varney ; mais peut-être pense-t-elle que si la chose eût dépendu de vous, la fleur eût été si légèrement attachée au bonnet, que le premier souffle du vent inconstant de la passion eût reporté dans son obscurité la pauvre marguerite.

— Elle doit considérer, » dit Varney en souriant, « que la fidélité sans réserve que je devais à mon seigneur et maître, m’a empêché d’abord de lui conseiller le mariage, et que cependant je lui en ai donné le conseil quand j’ai vu qu’elle ne pouvait être satisfaite que par le sacrement ou la cérémonie… Comment appelles-tu cela, Tony ?

— Elle a encore un autre grief contre vous, et je vous préviens qu’il faudra vous tenir sur vos gardes. Elle est lasse de cacher sa splendeur dans l’obscure lanterne d’un vieux monastère, et voudrait briller comme comtesse parmi les comtesses.

— C’est tout naturel, c’est fort juste ; mais que puis-je faire ? Elle peut briller à travers la corne et le cristal, selon le bon plaisir de milord, je n’ai rien à dire à cela.