Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/113

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daunt Mertoun, descendu à ses propres yeux du rang élevé qu’il occupait comme chef de la jeunesse de l’île, se sentait vexé, irrité, non moins qu’humilié. Les deux jolies sœurs aussi, dont tous étaient si jaloux de s’attirer les sourires ; qui avaient vécu avec lui sur le pied d’une affection si familière, qu’à l’aisance et à l’innocence d’un amour fraternel s’était jointe, à leur insu, une tendresse plus vive encore ; les deux sœurs semblaient aussi l’avoir oublié. Il n’ignorait pas que d’après l’opinion unanime de tout le Dunrossness, et même de toute l’île, il avait toute chance de devenir l’amant favorisé de l’une d’entre elles ; et voilà que soudain, sans qu’il y eût faute de sa part, il leur devenait si indifférent, qu’il avait même perdu l’intérêt qu’on accorde à une connaissance ordinaire. Le vieil udaller, dont le caractère loyal et franc aurait dû être plus constant dans ses amitiés, paraissait avoir été aussi oublieux que ses filles. Le pauvre Mordaunt avait tout d’un coup perdu les sourires de la beauté et les faveurs de la puissance ; c’étaient de bien tristes réflexions, et il doubla le pas pour les chasser, s’il était possible.

Sans beaucoup songer à la route qu’il suivait, Mordaunt marchait rapidement à travers un pays où ni haies, ni murailles, ni enclos d’aucune espèce ne viennent arrêter les pas de l’homme qui erre ; enfin il arriva dans un endroit fort solitaire, où, enterré au milieu de collines rapides et couvertes de bruyères qui se prolongent jusqu’au bord de l’eau, s’étendait un de ces petits lacs communs dans les îles Shetland, dont les échappées forment les sources des petites rivières et des ruisseaux qui arrosent le pays et font tourner les moulins qui réduisent les grains en farine.

C’était un assez beau jour d’été, les rayons du soleil, comme il arrive souvent dans ces parages, étaient faibles et obscurcis par un brouillard argenté qui remplissait l’atmosphère, et détruisant le contraste marqué de la lumière et de l’ombre, déployait, en plein midi, sur le paysage, la teinte mélancolique du crépuscule. Le petit lac, qui n’avait pas les trois quarts d’un mille en circuit, était parfaitement calme ; sa surface était unie ; seulement, de temps à autre, un des nombreux oiseaux qui voltigeaient au dessus s’y plongeait pour un instant. La profondeur de l’eau donnait au lac une teinte de vert bleuâtre, qui lui avait valu le nom de lac Vert. Dans ce moment, il formait un miroir si parfait pour les collines pâles dont il était entouré, et qui se réfléchissaient sur ses ondes, qu’il était difficile de distinguer la terre de l’eau ; et même, dans la lumière